Chère Pauline,
Ces quelques mots… des années après le jour où nous sommes quittées. J’ai du mal à former mes lettres... L’émotion, l’âge peut-être... Je suis restée longtemps en colère après toi… Tant d’années d’amitié…Tu disais pourtant que nous partirions ensemble, tellement nous étions liées. Ni nos hommes, ni nos enfants n’avaient réussi à nous séparer.
Je t’ai revue dans un vieil album. Tu étais magnifique dans ta robe de mariée… 50 ans déjà… Je n’ai pas vu le temps passer. Et maintenant j’appartiens au monde des « coton tiges ». C’est le nom que tu leur donnais… à ces vieux fous qui, à l’âge de la retraite, reprenaient des études et dont nous nous moquions. Nous étions tellement jeunes. Nous ne voulions pas être comme eux... Je leur ressemble aujourd’hui : j’ai arrêté de me teindre les cheveux il y a… oh ! il y a bien longtemps déjà.
Quand on est vieux on a abandonné les choses auxquelles on tenait : les mini-jupes par exemple. Tu sais comme j’aimais montrer mes jambes. Elles sont encore très belles et je les admire souvent devant le miroir, en me rappelant le passé. Combien en ont-elles rendus fous ! Les hommes, eux aussi, font partie du passé… C’est dur de ne plus susciter de désir. Il faut dire que je ne me maquille plus. Je n’arrive plus à trouver la bonne mesure ; alors j’en mets trop… Et, quand tu ne te maquilles plus, tu ne t’habilles plus, tu ne fais plus d’efforts. Pour qui ?
Tu sais, parfois, j’ai envie de rire aux éclats pour un rien comme quand nous étions jeunes. Ou de crier ou de dire merde ! merde ! merde ! merde ! ou beurk ! ou je ne sais quoi encore. Te souviens-tu du jour où, perdues dans Berck, nous demandions aux passants où se trouvait la mairie de Beuuuurk. Nous avions tellement ri que tu en avais fait pipi dans ta culotte. Mais quand on est vieux on n’a plus le droit de faire ce genre de bêtises, on est sage, posé et on doit inspirer le respect. Tu parles…
Je ne te parlerai pas des douleurs, des insomnies…Tu sais ce que c’est… Oh ! pardon !... Je suis vraiment une vieille conne. Vieillir c’est aussi cela… Oublier… Vivre dans le passé en présence des proches qui ont disparu. Mais vieillir, c’est le passage obligé.
Nous ne voulions pas vieillir. Tu ne voulais pas vieillir. Tu ne devais pas vieillir. « On ne devrait pas vieillir !» répétais-tu… Comme j’aurais aimé que tu vieillisses avec moi, que tu découvres les « joies » du temps qui passe, à côté de moi. Mais le cancer en a voulu autrement. A trente ans…
Finalement je suis heureuse d’appartenir au monde des vieux. Ton courage, ton énergie, ta lutte et ton amour de la vie m’ont toujours accompagnée. Même ton départ et ma colère envers toi m’ont guidée. Il me reste encore de beaux jours devant moi et je les vivrai le mieux possible, pour toi. Tu me donneras toujours la force de continuer.
Tu sais quoi ? Je vais sortir et hurler, pour toi ; je vais frapper à la porte de mon voisin octogénaire et l’inviter à prendre un thé, un café, un apéritif. Et… je me serai habillée pour toi, pour moi…pour lui.
Eveline
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