• En quête à Voisinlieu

    En quête à Voisinlieu

     

      Le train s’arrêta en gare de Beauvais. Une foule de passagers se précipita vers la sortie. C’était pour la plupart des hommes et des femmes qui travaillaient à Paris. Ils faisaient le trajet deux fois par
    jour et cinq fois par semaine. C’est après eux que descendit un homme au teint gris et aux cheveux longs qui était vêtu d’une parka grise comme on en portait il y une vingtaine d’années. Au lieu de se hâter, il semblait soucieux de regarder tout ce qui l’entourait. 

    Il s’arrêta même devant la gare et alluma une cigarette. Il tombait une petite pluie et l’homme mit le capuchon de son vêtement et dirigea ses pas vers la ville. Il passa devant le Kiosque, regarda le menu et haussa les épaules puis poursuivit son chemin vers le centre. Toutefois, au lieu d’aller tout droit vers la gare routière il prit à gauche, franchit le passage à niveau, passa dans la rue du Faubourg Saint-Jacques où il s’arrêta au tabac pour acheter des cigarettes et poursuivit son chemin vers Voisinlieu, un quartier qu’il connaissait bien.

    Son regard fut attiré par la croix verte clignotante de la pharmacie.

    Il se souvenait qu’autrefois elle était dirigée par un potard qui s’appelait Michel Simon, comme l’acteur. Il passa encore devant un café d’où sortait une musique tonitruante, évita une voiture devant l’église Saint Jacques, fut dépassé par un bus au niveau de la poste et arriva au Café des Promeneurs. Il dépassa le café, pour voir s’il y avait du monde puis constatant la voie libre, entra et demanda au patron, s’il avait une chambre libre. L’homme, un moustachu, avec une cigarette au coin de la bouche lui donna le prix, encaissa le billet, rendit la monnaie et appela une jeune fille pour qu’elle lui indique la chambre. L’homme suivit la fille dans l’escalier, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas monté un escalier derrière une femme. La fille ouvrit la porte alluma la lumière et s’éloigna en lui disant « Vous pouvez manger à partir de 7 heures. » Quand il referma la porte, il se rendit compte que pour la première fois depuis longtemps, c’était lui qui avait tourné la clé derrière lui. Il avait du temps pour lui, il posa son petit sac, prit le cendrier publicitaire jaune, le mit sur le couvre pied vieux rose, arracha le papier transparent qui enveloppait le paquet de cigarettes, se saisit d’une cigarette puis, se ravisant, reprit le cendrier, ouvrit la fenêtre et se mit à fumer à la fenêtre. Il était de retour. Il regarda le quartier de son enfance, à gauche la boulangerie où il allait chercher le pain pour sa vieille mère et même des bonbons, avant d’aller en classe, plus loin à droite, le gymnase où il faisait de la gymnastique à la Vaillante avec Jacquot. Derrière lui, il y avait l’école où il avait sué sur les problèmes de robinet, les trains qui se croisaient et l’accord du participe passé. Il revoyait le visage de Mr. Liquette. Tout cela était si loin. Plus tard, il repasserait devant la maison où il habitait avec sa mère. Puis demain sans doute, il pousserait jusqu’au cimetière sur la route de Paris. Jusqu’ici tout s’était déroulé comme il l’avait imaginé. Depuis six ans, il imaginait ce jour, il avait fait et refait le chemin dans sa tête et cela l’avait aidé à survivre, à supporter une situation qu’il jugeait injuste.
    Il regardait l’ancienne mairie et plus loin vers la droite les deux cafés « Le vieux tonneau » ou « Le dernier sou » il ne se rappelait plus très bien. Il n’avait pas beaucoup d’argent et il ouvrit le portefeuille qui ne contenait que quelques billets qui lui permettraient de tenir quelques jours en ne faisant pas de fantaisie. Il faudrait qu’il trouve du travail rapidement pour pouvoir subsister et lui permettre de démêler le fil de toute l’histoire qui le hantait depuis si longtemps. Dès demain, il tenterait sa chance il essaierait de trouver un emploi au RN 1 comme manutentionnaire ou chez Massey. Il y avait urgence. Pour le moment il avait faim, il entendit au loin les cloches de l’Angélus, il était plus de 7 heures. Il pouvait descendre pour manger. Il allait attendre un peu pour ne pas attirer l’attention. Ceci faisait aussi partie de son plan. Ne pas se faire remarquer. Il attendit un quart d’heure, ferma la porte et descendit l’escalier qui menait directement dans la salle à manger. Deux personnes étaient déjà placées, c’était un couple de jeunes qu’il salua. Il attendit quelques instants et demanda à être assis dans un coin, d’où il avait vue sur la salle de café. Deux habitués jouaient au 421 sur un coin du comptoir. Le moustachu derrière le zinc, parlait à un type qui gesticulait et menaçait de renverser son verre de rouge. La serveuse qui lui avait indiqué sa chambre lui servit le premier plat, c’était des crudités avec un demi oeuf mayonnaise, il avait même droit à une petite carafe de vin rouge. La porte s’ouvrit et trois types en combinaison de travail entrèrent en bavardant et allèrent s’assoir à une table. L’un des gars se dirigea vers le juke-box, glissa une pièce et la musique envahit l’espace. C’était une chanson à la mode et l’un des gars tapa dans ses mains pour marquer le rythme. Il avait fini son entrée, la serveuse apporta prestement le second plat. C’était une tomate farcie avec du riz. Il commençait à manger quand la porte du café s’ouvrit encore en apportant un courant d’air froid. Il leva la tête de son assiette et regarda les deux hommes qui venaient de faire irruption. Celui qui lui tournait le dos, il le connaissait. C’était pour lui qu’il était revenu à Beauvais, à Voisinlieu dans ce « Café des Promeneurs » Mais il était important de ne pas être vu. Il déclina l’offre d’un dessert et regagna rapidement sa chambre. Son coeur battait à tout rompre et même la cigarette qu’il fuma rapidement ne parvint pas à le calmer.


    Philippe Geiger

    à suivre

     
         
          La voix d’un lieu 
    Revue de l’atelier d’écriture de « Voisinlieu pour tous »
    http://www.voisinlieupourtous.net
    N°01 - Décembre 2011

    « Jardin de Tomates UBUNTU »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :