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    Côtelettes or not côtelettes  

       C’était dans les années 50, j’avais 7 ans et ce vendredi soir nous étions tous calfeutrés  dans notre petite habitation car le froid était vif, sauf mon père qui rentrait un peu plus tard et revenait à bicyclette par cette nuit glaciale. A l’époque, les ouvriers étaient payés « à la semaine » et en espèces ; Henri a enfourché son vélo, équipé de sa canadienne et la tête couverte du passe-montagne car il  y a quelques semaines ses oreilles avaient gelé. Il n’a pas suivi ses copains au bar du coin pour la tournée de fin de semaine et circule seul dans le Chemin Noir en pédalant d’arrache pied. Un malfaisant, en affut dans les bosquets lui saute dessus et le frappe brutalement sur le crane, déséquilibré, il commence à chuter mais a la présence d’esprit de prendre son enveloppe de paye dans sa main bien serrée. Il ne reste pas longtemps estourbis et remonte courageusement sur son vélo. Il arrive chez lui avec une heure de retard, mais soulagé d’avoir sauvé son pécule. Moi, la petite, impressionnée par le récit, je reste sans mots et sors acheter les côtelettes de fin de semaine chez le charcutier. Inutile de vous dire qu’elles nous ont paru incomparables car un peu plus, pas de paye, pas de côtelettes !

    Francine

     


     
     
       
     

    Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°05 – Mars 2013

     


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    Faits d’hiver (2)


      L’hiver 2013 a fait son apparition un peu tardivement, vers la mi-janvier, après un bel automne qui a traîné en longueur pendant les fêtes de NOËL et du Nouvel AN, nous laissant profiter tout à notre aise d’une douceur très surprenante et aussi très agréable. Mais le froid n’a pas oublié son rendez-vous annuel, il s’est installé brutalement et rapidement avec des chutes de neige ininterrompues qui ont recouvert tout le pays d’un immense manteau neigeux immaculé ; les nuits sont devenues  glaciales, on aurait pu entendre certaines plantes hurler, appeler « au secours », l’eau du petit bassin se glaça sans états d’âmes, les oiseaux avaient fui, disparus au fond des bois dans quelque endroit bien abrité peut-être, mais connus d’eux seuls ! Les cheminées se mirent à flamber, à laisser échapper leurs adorables petits nuages de fumée grise parfumée aux nombreuses et diverses essences de bois qui peuplent nos belles forêts. Le village et la campagne alentour sont devenus un « no man’s land » évoquant le célèbre paradis blanc tristement chanté par Michel Berger… Oui c’était plutôt triste ce silence tout de blanc vêtu, cette immobilité de chaque chose, pas un chat errant, pas un aboiement, pas une plainte d’oiseau malheureux, pas une ombre dans la rue, tous  les volets clos dès les premiers signes du jour finissant, le monde paralysé, la vie en suspens car les routes et les chemins communaux étaient fermés par des congères ; il fallait attendre patiemment, chez soi, au chaud la fin de cette punition collective ! Cela dura bien quelques jours encore avant de pouvoir circuler librement à nouveau, reprendre nos activités abandonnées, nos promenades quotidiennes, nos emplettes variées, nos vies tout simplement !

      Le mois de janvier touche à sa fin, l’épisode neigeux s’achève dans une douceur quasi anormale ; on pense bien sûr « réchauffement climatique », on s’inquiète, que sera ce mois de février ? C’est un mois situé en plein milieu de période hivernale, il a laissé des souvenirs bien glacés, à jamais enfouis  dans nos mémoires d’enfants et que nos cœurs d’adultes ne peuvent oublier ! Que l’hiver suive son petit bonhomme de chemin avec son cortège de pures et enivrantes émotions, il porte en lui toutes  les promesses d’un merveilleux printemps qu’il faudra savoir attendre.

    Lucie

     
       
     

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    Faits d’hiver 

      L’hiver, insidieusement s’est installé dans notre environnement. Si ce n’est le froid qui nous le rappelle, les passants marquent aussi cette saison. Ce sont des tenues vestimentaires qui pour les uns, les engoncent et les font ressembler au «bonhomme Michelin », qui pour les autres, les avantagent par l’élégance de leur manteau associé à des bottes non moins élégantes. Et que dire des coiffes des uns et des autres, c’est un défilé de couleurs chatoyantes qui réchauffent déjà l’air : bonnets tricotés, bonnets en feutre, écharpes industrielles, écharpes faites main déclinées dans des modèles innovants et aussi l’élégance suprême : bonnets, écharpes et gants assortis. C’est un spectacle inédit propre à cette saison.

      Les jours de grand froid la démarche se fait hésitante pour certains qui craignent la rencontre avec une plaque de verglas alors que pour d’autres, notamment les plus jeunes, elle est dynamique, quitte à se retrouver par terre sur les fesses dans une crise de fou-rire avec  les copains. Ces jours là, la communication entre les passants est plus spontanée : le sujet de discussion étant évident : puis chacun continue son chemin, la tête dans les épaules, en hâtant son pas.

      J’imagine ces personnes pressées de retrouver leur chez soi. Elles savourent déjà rien que d’y penser les bons plats français d’hiver qui réchauffent : le pot au feu ; la potée, la choucroute. Puis elles s’allumeront un feu de cheminée et s’offriront une séance de cocooning devant la cheminée en sirotant qui, un vin chaud, qui un chocolat chaud.

    Ce sont là les petits plaisirs de l’hiver.


    Arlette

     


     
       
     

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     Boire la tasse à Vichy 

     

      Ces heures qui précédèrent mon départ étaient si singulières, si étranges. Sous le ciel hivernal, elles s’effondraient inexo-rablement sans clarté, fondant comme des couches de crème qui glissent l’une sur l’autre. Seules quelques variations infimes de cette immobilité hivernale semblaient indiquer la progression des heures. Aux abords du plan d’eau du Canada, des dizaines de mouettes s’immobilisaient. Soudain, mues par quelques cris déchirant le voile gris pixellisé de ce jour qui se refusait à prendre la lumière, elles s’envolaient à nouveau, peignant du blanc sur le gris.

    Au loin, sur le chemin boueux, mes yeux myopes distinguèrent un groupe de pèlerins qui tanguaient, ils passèrent à mes côtés sans répondre à mon « Bonjour ». Qu’importe, je me sentais déjà  étrangère…  

    La route défilait et ces images resurgissaient. Ce lien ténu me permettait de combler un vide vertigineux. Il était tapi là, au fond de mes tripes. Dans quelques heures, je serai à Vichy.

      Je venais de tout quitter. Mes enfants, mon ex, ma ville de Beauvais, ma Picardie natale. Je roulais vers une vie nouvelle, vers l’homme que j’aimais. Un immense sentiment de liberté m’habitait à mesure que la distance s’amenuisait. Se pourrait-il qu’enfin le bonheur soit là, pour moi aussi ?

    Cette même luminosité qui me pesait tant, je ne la subissais plus. Je portais la lumière en moi. Chaude et vibrante énergie d’un feu intérieur, c’était si bon.

      Ce moment-là, je l’attendais depuis plus d’une année, en fait, depuis bien plus longtemps que cela. C’était comme sortir d’une tombe, d’un couloir sans fenêtres. Depuis près de vingt ans, j’y vivais aveugle et sourde aux cris de l’intérieur, avec l’incroyable perception que tout avait débuté hier. Quel besoin indétectable m’avait poussée à  plonger dans un tel oubli. J’y avais supporté dignement les violences de mon mari asiatique. Les coups pleuvaient lorsqu’il buvait, ce qui avait débuté à peine deux ans après notre mariage. Période à partir de laquelle l’élégance de l’amour avait disparu. Sans doute était-il brisé dans sa chair depuis son départ du Cambodge. Moi, sa femme, je servais d’exutoire,  bouc émissaire des souffrances de tout un peuple. Soumise et silencieuse victime, mon éducation ne permettait pas d’en comprendre les raisons, celles de mon abdication. Copié-collé d’images familiales sans doute.

      Mais maintenant tout était fini. Fini ! Vous comprenez n’est-ce pas ?

      Il m’attendait. Le nouveau visage de ma vie se dessinait sous les traits de cet homme-là, Michel. Je devais arriver sous peu en voiture, accompagnée par le camion de déménagement. Il fallait tout d’abord que j’installe ma maison. Celle qui me permettrait de recevoir mes quatre enfants, pendant les vacances. Tout était organisé à merveille. Je remplissais chaque seconde avec une telle d’avidité. Que faire d’autre sinon que de rattraper tout ce temps perdu ? Ni les cartons, ni le camion rempli des restes de mon ancienne vie, ni les trois jours qui me séparaient encore de lui n’occasionnaient une gêne quelconque. L’infini s’offrait à moi, sourire aux lèvres, butinant de toutes parts sans que rien ni personne ne m’atteigne.

    Il m’avait dit :

    « Installe-toi tranquillement et viens me retrouver chez moi dans trois jours ».

      Comme dans un rêve, assommée par tant d’amour, j’avais bêtement répondu :

    « Oui ».

      Trois jours, trois heures, trois secondes, trois ans… Ma pendule battait la chamade. Plongée dans les cartons, les meubles, la vaisselle, que sais-je encore, je ne connaissais plus la fatigue et mes nuits étaient si courtes que j’en ignorais presque la faim. Tellement heureuse et pressée de tout installer pour le rejoindre. Elle était belle et grande ma maison, avec un jardin rempli de grève qui recouvrait les allées bordées de buis. Les pelouses dessinaient des courbes régulières encadrées de blanc. Les arbres qui jouxtaient la maison seraient parfaits dès les beaux jours. Ils épanouiraient leur feuillage capiteux afin de protéger notre amour des regards indiscrets.

      Ce troisième jour arriva, si vite, si tard. Je me sentais belle et moche à la fois. Je tremblais comme une enfant en me maquillant. Je faisais tomber presque tout ce que mes mains touchaient. Le trac m’envahit comme une vague scélérate, sans prévenir. Je me garai devant sa maison et parce que nous ne nous étions pas parlé depuis trois jours, j’eus soudain le sentiment de ne plus le connaître. La mise à jour de mon temps venait de s’opérer. Tous les compteurs repartiraient à zéro au moment exact où il ouvrirait la porte, car il devait secrètement me guetter derrière les rideaux ! Sous mes pas les cailloux crissaient au contact de mes semelles et mes talons s’enfonçaient, me faisant tanguer comme une femme saoule. Ivre de bonheur et d’amour.

      Devant la porte, je m’attendais à ce qu’il m’ouvre. Rien. Alors que je sonnais, je commençais à introduire doucement la clé dans la serrure. Je désirais profiter pleinement de mon geste et le surprendre aussi, car il ne m’avait pas entendue. Une fois la porte refermée derrière moi, je l’ai appelé d’une voix claire – Michel…

      En pénétrant dans la cuisine, les persiennes encore fermées laissaient filtrer suffisamment de lumière pour que je puisse voir un corps disloqué sur le sol. C’était Michel, mon Michel qui gisait là, sur le carrelage froid. Aucun cri n’a pu sortir de ma bouche lorsque je constatai qu’il était aussi froid que le sol sur lequel il reposait depuis trois jours. Ces trois jours pendant lesquels je me préparais à vivre enfin heureuse.

    Ghislène

     

                

     
       
     

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     Où es-tu hiver ?

    -Où es-tu hiver ?

    -Je suis là, je suis là !

    Ne sens-tu pas le froid sur tes doigts ?

    Ne vois-tu pas cette blancheur sur le toit ?

    N'entends-tu pas le crissement de tes pas ?

    Ne sens-tu pas cette soupe en approchant de chez toi ?

    -Hiver, je te crois, je te crois !

     

    Lilou
     
       
     

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     Faits d’hiver

    J’ai la main gelée
    Celle que tu es venu me demander
    Enfin décidé
    A unir ton cœur à mon cœur brisé

    Vers moi tu as glissé
    Après avoir longtemps dérapé
    Tu as trop piétiné
    J’ai trop attendu, le rêve est figé

    Je suis un peu givrée
    De refuser ce futur partagé
    J’ai trop patienté
    Trop tard pour s’unir, il a trop neigé

    J’ai le cœur glacé
    Je t’ai quitté sans rien expliquer
    C’est bien trop compliqué
    De t’avouer combien je t’ai aimé


    Eveline
     
       
     

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     L’édito de Marc:
     

      Comme je vous l’ai fait savoir, et sans doute avez-vous lu les hommages dans la presse, l’ami Gilles Toulet nous a quitté le 25 janvier. Il était au départ du « Clavier Libre »

      Gilles a eu le temps de voir la sortie de son dernier livre – Un polar « Le prédateur de St Quentin » après « Barthélémy » paru en 2009. Il avait encore sous le coude plusieurs romans et policiers qu’il m’avait fait l’amitié de lire et commenter. Je citerai son magnifique « Le rosier des bergers », « La louve du Vexin » ou encore « Beauvais thriller » sans compter une bonne dizaine de nouvelles tant en français qu’en langue picarde qu’il maniait avec aisance. Il reçut d’ailleurs dans ce domaine plusieurs récompenses. Il écrivait beaucoup ses dernières années comme pour laisser une dernière trace. La photographie fut à une époque un de ses hobbies, là aussi il fut primé. Quelques-unes de ses œuvres ornent encore son couloir.

      Hospitalisé mi-décembre, il pensait encore « se retaper ». Après les fêtes il m’a confié : « A 84 ans, maintenant ou dans six mois, je préfèrerais maintenant » J’ai compris que mon vieux Gilles abandonnait. Le 24 janvier, alors que le personnel se préparait à le transférer en soins intensifs, en me voyant il a relevé la tête. Me reconnaissant, il a levé la main que j’ai prise comme les lutteurs d’un bras de fer. J’ai serré. Il a serré… et laissé retomber sa tête sur le côté. Nous venions de nous dire adieu.

     

       
     

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         Un requin dans la haie 
    J’ai eu douze ans au mois de mai 2011.
    Mon père est mort l’an dernier. Malade pendant trois longues années, à cause de cette saloperie de crabe. Il est resté alité à la maison, lui qui aime tellement la chasse. Je l’ai vu maigrir à vue d’œil, chaque mois un peu plus, jusqu’à ce que la bête tentaculaire ait finalement gagné. Il avait cinquante-sept ans et moi onze. Depuis l’âge de huit ans, je l’ai entendu vomir chaque jour et chaque nuit. Un cancer du côlon. L’odeur dans l’appart était devenue irrespirable. D’autant que maman n’était plus là depuis longtemps et que moi, question ménage et bonnes odeurs de maman – je n’avais pas encore obtenu mon diplôme ! La mort était tapie dans chaque recoin. Assise là, à l’attendre en jouant aux cartes avec ses nouveaux symptômes. La vieillesse, la maladie, lorsqu’on n’a que huit ans, on ne s’en sépare pas. Pas comme ça, en claquant des doigts.
    Je me sens vieille et le poids de mes longs cheveux blonds me pèse. Ils n’ont jamais été coupés et me battent les reins comme autant de coups de fouet infligés par la vie. Ils portent le poids de mon histoire depuis le premier jour.
    D’ailleurs, ce corps ne me porte pas comme il le devrait à mon âge. Je suis devenue vieille. Mon dos est voûté et mon regard bas, toujours planté dans le sol, comme pour mieux en scruter les moindres détails à la recherche d’une faille dans laquelle m’engouffrer, me cacher. Pour le rejoindre, papa, qui sait. Ce corps ne m’aide pas. Il affiche bien trop tôt les cassures, les arrondis, les angles creux des vieux. Bien sûr, ma peau est lisse et ferme, mes idées rapides et claires, mes foulées longues et alertes, mon odeur fraîche et sucrée ; mes dents, ma bouche, mon haleine, enfin, tout est neuf – et pourtant la mort me hante chaque jour. Pour certains, elle le fait bien plus tard. Lorsque les « signes » se rapprochent, s’intensifient, qu’elle vous attend, là, demain ou après-demain, alors tout est bon pour essayer de l’oublier. Celle-là, qu’on porte en soi chaque jour depuis la naissance devient alors l’obsédant obstacle à contourner. C’est un cri rauque qui parle aux cellules. Alors, le moteur de toutes les activités les plus frénétiques, que l’on gobe comme des œufs à pleine bouche pour étouffer de vie, se met en marche. Ultime lumière avant la nuit infinie. La nuit froide. Une autre nuit que la nuit sans lune. Voyages, peinture, séduction, baise jusqu’au dernier soubresaut de libido, avides de chaque parcelle – si infime soit-elle, d’une aventure qu’on avait laissée là sur le bord d’un chemin qu’on pensait d’éternité, on s’active ; la peur aux tripes. Un de ceux-là a croisé ma route et j’ai pu scruter, avec mes yeux d’enfant, chaque jour pendant des années ; ce qu’on appelle un vieux, et celui-là, c’était un vieux salaud.
    C’était mon grand-père. Il m’a élevée après la mort de son fils. Bien avant ses assauts répétés chaque jour, il avait déjà commencé à me toucher, à mettre sa main sur mon sexe, à jouer avec mon petit corps d’enfant. Pour un gâteau, une sucrerie qu’il cachait au fond de ma culotte en coton. Perfide, lubrique, vicieux, m’attirant comme une mouche avec de l’eau sucrée ! Quoi de plus facile à berner qu’un enfant. Sans passé…
    Son corps flaque et ramolli, ses jambes à demi-pliées, sans forme et remplies de varices, son ventre mou et ses couilles pendantes, sa bouche aux dents usées, cassées, jaunies par la clope et la vieillesse, ses lèvres fines et cette horrible langue blanchâtre et grasse comme une huître pleine, son odeur de chair déjà en route vers la décomposition finale, les filaments jaunasses, frisottés et tordus qui lui servaient de cheveux, ce mouvement incertain de la bouche entre le tic et la succion bruyante à chaque fois qu’il mangeait, la lenteur énorme arbitrant chacune de ses pensées, chacun de ses mouvements… Bref, toute cette horreur, j’ai dû la supporter sans broncher sous ses doigts tordus, ses mains crochues d’arthritique, scrutée par ses yeux au contour de néon circulaire, lien maléfique qui m’encerclait chaque soir, au coucher, dans ma petite chambre, dans mon petit lit, sans broncher, un foulard sur la bouche, et ce vieux salaud se frottait sur moi, sans pouvoir bander – heureusement, alors que tous dormaient…..
    Que faire, enfant, sinon subir.
    Subir.
    Subir partout cette différence, qui se lit sur mes traits et dans mon regard modelés par l’humiliation. Ils l’ont perçue bien vite les autres. Cette faiblesse, cette faille, cet abus de silence, comme un gouffre au creux du cœur, béant, qui crie par les yeux, installé sur mon corps de vieille courbée, seule. Alors, tout doucement, au dehors aussi l’enfer se campe autour de moi. Ce n’est plus seulement le vieux salaud qui me taraude l’esprit, ce sont ceux de mon âge. L’animal blessé aimant la cruauté, si facile, si jouissive, si naturelle, archaïque. Le besoin de destruction, de mise à mort s’organise vite, très vite, par capillarité, par contagion. Alors vite, très vite au collège tout comme en primaire, je suis le bouc-émissaire des lâches. Dans la cour, les couloirs, aux chiottes, dans la rue – le soir quand il fait déjà nuit à 16h j’ai peur de rentrer seule… mon cœur ne bat vite que pour moi. La nuit dans mon lit aussi – ils sont là, le vieux qui bande mou et puis eux, tous, qui m’humilient en gueulant de rire dans mes oreilles trop petites. Ça résonne comme dans un hall de gare dans ma tête. Les rires me cisaillent les tympans. Leurs gueules me crèvent les yeux. J’étouffe. Je les retrouve sur Facebook, chaque soir. Les commentaires sur moi se tricotent, telles les mailles d’un pull trop petit pour moi. Ma camisole de folie des Autres…
    Ça a pété très fort… très vite. Tout ça, c’est fi-ni, Lucie. Les voisins n’y ont sûrement pas prêté attention. Ils passent leur journée à gueuler. Si c’est pas eux, c’est la télé, à fond. Moi… maintenant… je ne pèse plus que le poids de mon âme.
    Ghislène

    Ghislène

     
       
     

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    Le miroir ou perdu de vue     
     

     Sa démarche est hésitante, ses pas plus petits; de toute façon, elle n'a pas très loin à aller, sa chambre est minuscule; elle ouvre son armoire pour choisir une robe; le choix est restreint, les vêtements sont peu nombreux; elle enfile ses chaussons, les chaussures, c'est seulement pour sortir; devant le miroir, Émilie se regarde, caresse de la main son visage, pose ses doigts sur les sillons de ses rides. Elle ne les a pas vues arriver ces rides, d'abord pattes d'oie, puis rides d'expression, rides du lion, rides d'amertume... La voilà comme une pomme flétrie; Émilie sourit, il lui reste quelques dents heureusement. Son regard est lumineux, ses yeux clairs plaisaient beaucoup aux amoureux qui lui faisaient la cour il y a si longtemps. La coiffeuse est passée hier, elle a fait ce qu'elle a pu.
    Émilie soupire, pose un peu de fard sur ses joues creuses, un peu de rose sur ses lèvres, il paraît que c'est plus joli avec les cheveux blancs; à nouveau, elle jette un œil dans le miroir.
    Quelle jolie jeune femme que voilà! Visage fin, ovale bien dessiné, bouche pulpeuse, bien rouge, de jolies dents régulières, des yeux clairs très expressifs et une chevelure brune qui lui tombe sur les épaules. Émilie est heureuse, elle est amoureuse, elle a vingt ans et lui aussi. D'ailleurs, elle a rendez- vous au Jardin du Luxembourg, près de la fontaine, c'est le rendez-vous des étudiants amoureux, on peut se cacher pour s'embrasser, se caresser.
    Émilie sent son cœur battre, lui aussi est amoureux; il lui a chuchoté ces mots en l'embrassant dans le cou. Ensemble, ils ont des projets, leurs études à terminer, les fiançailles, un mariage à la campagne, une maison, des enfants... Émilie se dirige vers la porte, pressée de sortir, elle ne veut pas être en retard...
    Non, soldat La croix, ce n'est pas possible, vous ne pouvez voler dans cette escadrille, vous avez des problèmes de vue; on va vous affecter au sol. Louis est désappointé! Depuis tout petit, son rêve c’était voler.
    Après deux ans dans l'infanterie, il est de retour à Paris pour terminer ses études. Près du jardin du Luxembourg, il a rencontré Émilie et ça fait six mois qu'il est fou amoureux. Elle est si jolie, un regard clair, des cheveux noirs, elle sent bon, elle rit tout le temps.
    Louis a fait des projets d'avenir tout en lui chuchotant des mots doux. Mais un souci vient contrarier sa joie aujourd'hui: ses parents ont décidé de partir aux États Unis, son père étant appelé à la direction d'une usine Ford et ils doivent quitter rapidement la France. Il n'ose pas en parler à Émilie; la voilà, ils se réfugient dans les jardins et se blottissent sur un banc l'un contre l’autre. Non, Louis n'arrive à lui parler, ce serait gâcher ces moments de bonheur; il sait qu'elle va souffrir, alors il a décidé de partir sans rien dire et essayer de l'oublier.
    - Madame Émilie, Madame Émilie, où allez- vous ? demande Carole l'infirmière; ce n'est pas encore l'heure du repas; allons regagnez votre chambre, je vous appellerai, allumez la télé, c'est bientôt votre émission préférée, vous savez Julien Lepers, Questions Pour Un Champion; je vous amène vos médicaments.
    Louis a quatre- vingt- cinq ans, il a vécu toute sa vie aux États -Unis, s'est marié, a eu une fille Judith qui vit en France; depuis quelque temps, il est en mauvaise santé et Judith a décidé de l’accueillir chez elle. Mais Louis refuse d’être une charge, alors d'un commun accord, ils ont cherché une solution et cette petite maison de retraite en banlieue a l'air très accueillante. En fin d'après-midi, ils arrivent donc aux Ormeaux, et Louis s'aidant de sa canne prend ses repères;
    - voici Carole l'infirmière de votre étage, elle va vous conduire à votre chambre; vous visiterez la maison plus tard, le repas est servi à dix-neuf heures, vous y rencontrerez d'autres pensionnaires.
    La fille de Louis s'en est allée; seul maintenant son regard se porte vers la fenêtre, demain j'irai me promener dans le parc, pense t-il... Carole frappe à la porte
    - voulez vous que je vous aide ?
    Les voilà dans la salle à manger. Louis s'assoit, essaye de repérer ses couverts, son verre, son assiette du bout de ses doigts; sa vue ne s'est pas arrangée depuis ses dix huit ans, il est presque aveugle. Soudain, une main se pose sur son bras; Louis tressaille, cette peau, cette odeur, Louis frémit;
    - quel est votre prénom? demande la pensionnaire assise à son côté. Louis tourne un peu la tête, il a reconnu cette voix qui n'a pas changé, c'est Émilie son premier amour.
    - Je m'appelle Louis, répond-t-il dans un murmure.
    - Eh bien bonjour à vous, moi je m'appelle euh... attendez ça va me revenir, je m'appelle...
    - Émilie, dit l'infirmière.


    Lilou

       
     

    Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°03 – Novembre  2012


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    La vieillesse à travers l’âge  

    Quand est-on vieux ?

      En effet la perception de la vieillesse est toute relative et ce, en fonction de l’âge de celui qui porte un regard sur l’autre : « le vieux ».

      Je me souviens  de ma grand-mère tout de noire vêtue avec pour seule fantaisie son tablier imprimé de petites fleurs sur fond noir : j’étais toute petite fille et je la trouvais très vieille et elle n’avait que quelques années de plus que moi aujourd’hui.

      Je me souviens d’une réponse de mon fils adolescent le soir de la rentrée des classes en seconde à mon interrogation sur ses professeurs « Oh le prof de maths est un vieux » et le jour de la réunion parents-professeurs, je m’aperçois que le vieux en question a l’âge de nous ses parents !

      Je me souviens d’une discussion avec ma petite-fille de cœur de 17 ans « lorsque des personnes décédaient à 80 ans, je me disais qu’elles avaient fait leur vie mais ma voisine (amie de la famille) atteignant cet âge maintenant, je ne la vois pas si vieille et souhaite qu’elle vive encore de nombreuses années.

      Je me souviens d’une stagiaire d’une vingtaine d’années qui faisait ce gentil compliment à nous, jeunes retraitées : « je ne me voyais pas ainsi à votre âge, aussi dynamique, aussi coquette ; pour moi, je pensais que c’était le laisser-aller, la solitude, la tristesse ».

      Je me souviens de la compassion de ma belle-mère nonagénaire pour ma voisine octogénaire mais grabataire « la pauvre vieille ».

      Il y a aussi bien sûr notre propre regard sur la vieillesse : plus nous avançons en âge, plus s’éloigne le bastion de la vieillesse. Regarder vivre des personnes âgées nous conforte dans la possibilité d’un avenir certes différent mais encore enrichissant tant que la dépendance et la maladie nous oublient.

      Etre vieux, c’est ne plus s’intéresser à la vie. C’est davantage un état d’esprit qu’un nombre d’années.

    Arlette

     
       
     

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    Harry    
     

     

      A plus de 80 ans, Harry aurait pu attendre que le soleil soit plus ardent pour sortir faire les courses, mais il gardait cette habitude d’une vie besogneuse et mettait un point d’honneur à quitter son logement très tôt, rasé de près, embaumant l’eau de Cologne dont il s’était frictionné le visage. Il n’avait jamais passé son permis et son vélo avait connu toutes ses aventures. Depuis quelques mois, il n’allait plus à la superette la plus proche mais au supermarché car le gérant du magasin avait été indélicat en lui rendant la monnaie, suggérant « qu’à son âge » il avait sans doute confondu un billet de vingt euros et un billet de dix euros. Inadmissible ! Celui-là n’était pas prêt de le revoir ! Il achètera le lait et la viande pour ce midi puis, à la boulangerie la baguette et le petit croissant pour sa femme. Il prendra son journal et rentrera se faire chauffer un café (café-chicorée plus exactement) A peine rentré à la maison il pestera car il devra ressortir pour une course urgente que son épouse lui réclamera (elle ne faisait jamais de liste et immanquablement une seule visite au magasin ne suffisait pas) Il terminera la matinée en allant au jardin vérifier si ses plantations ne manquent pas d’eau et si les gamins du quartier lui ont laissé quelques fraises. Il donnera à manger au couple de lapins géants des Flandres qui faisait sa fierté. Il engraissait ses lapins régulièrement et comme sa femme refusait de les cuisiner, il en faisait bénéficier ses proches.

      Il prendra son déjeuner seul car sa moitié s’est recouché, s’assoupira un peu en regardant le journal télévisé, puis sa grosse main vérifiera que le mouchoir à carreaux figure bien au fond de sa poche, enfilera son anorak, attrapera sa casquette en velours côtelé et ira travailler dans le jardin de sa fille. Là, il appréciera le calme de la maison, regardera le Tour de France en écossant des haricots ou en épluchant des pommes de terre. Enfin il rentrera à la tombée de la nuit dans son appartement où sa femme, enfin levée, l’assaillira de reproches comme à l’accoutumée. Depuis quelques temps il en souffrait moins car il devenait sourd.

      Tout le monde se demandait comment il avait pu supporter cette agressivité depuis si longtemps. En fait il avait beaucoup « roulé sa bosse » quand il était jeune et devait se réfugier dans ses souvenirs quand les cris devenaient trop insupportables. Chaque année, il partait en cure pour ses artères et ce répit de quelques semaines lui permettait de recharger ses batteries. Alors il oubliait les reproches et la haine pour ne plus penser qu’à celle qui lui avait donné de nombreux enfants, tenait si bien la maison qu’on aurait pu manger par terre et qui avait dû être très jolie avant que la démence ne déforme son visage. Lui, la protègera toujours de ses démons et qui sait peut-être l’aimait-elle encore car elle était toujours très jalouse et le soupçonnait même d’accueillir des maîtresses dans la cabane du jardin.

      Dix ans plus tard, la vieillesse a rattrapé Harry et il n’a pu continuer à l’entourer de ses soins, mais jusqu’à la fin de ses jours il s’est toujours soucié d’elle.

     

    Francine


     
       
     

    Revue de l’atelier « virtuel » d’écriture « LE CLAVIER LIBRE »  N°03 – Novembre  2012


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  • « Coton tiges », tu les appelais.    

    Chère Pauline,

       Ces quelques mots… des années après le jour où nous sommes quittées. J’ai du mal à former mes lettres... L’émotion, l’âge peut-être... Je suis restée longtemps en colère après toi… Tant d’années d’amitié…Tu disais pourtant que nous partirions ensemble, tellement nous étions liées. Ni nos hommes, ni nos enfants n’avaient réussi à nous séparer.

      Je t’ai revue dans un vieil album. Tu étais magnifique dans ta robe de mariée… 50 ans déjà…  Je n’ai pas vu le temps passer. Et maintenant j’appartiens au monde des « coton tiges ». C’est le nom que tu leur donnais… à ces vieux fous qui, à l’âge de la retraite, reprenaient des études et dont nous nous moquions. Nous étions tellement jeunes. Nous ne voulions pas être comme eux... Je leur ressemble aujourd’hui : j’ai arrêté de me teindre les cheveux il y a… oh ! il y a bien longtemps déjà.

      Quand on est vieux on a abandonné les choses auxquelles on tenait : les mini-jupes par exemple. Tu sais comme j’aimais montrer mes jambes. Elles sont encore très belles et je les admire souvent devant le miroir, en me rappelant le passé. Combien en ont-elles rendus fous ! Les hommes, eux aussi, font partie du passé… C’est dur de ne plus susciter de désir. Il faut dire que je ne me maquille plus. Je n’arrive plus à trouver la bonne mesure ; alors j’en mets trop… Et, quand tu ne te maquilles plus, tu ne t’habilles plus, tu ne fais plus d’efforts. Pour qui ?

      Tu sais, parfois, j’ai envie de rire aux éclats pour un rien comme quand nous étions jeunes. Ou de crier ou de dire merde ! merde ! merde ! merde ! ou beurk ! ou je ne sais quoi encore. Te souviens-tu du jour où, perdues dans Berck, nous demandions aux passants où se trouvait la mairie de Beuuuurk. Nous avions tellement ri que tu en avais fait pipi dans ta culotte. Mais quand on est vieux on n’a plus le droit de faire ce genre de bêtises, on est sage, posé et on doit inspirer le respect. Tu parles…

      Je ne te parlerai pas des douleurs, des insomnies…Tu sais ce que c’est… Oh ! pardon !... Je suis vraiment une vieille conne. Vieillir c’est aussi cela… Oublier… Vivre dans le passé en présence des proches qui ont disparu. Mais vieillir, c’est le passage obligé.

      Nous ne voulions pas vieillir. Tu ne voulais pas vieillir. Tu ne devais pas vieillir. « On ne devrait pas vieillir !» répétais-tu… Comme j’aurais aimé que tu vieillisses avec moi, que tu découvres les « joies » du temps qui passe, à côté de moi. Mais le cancer en a voulu autrement. A trente ans…

      Finalement je suis heureuse d’appartenir au monde des vieux. Ton courage, ton énergie, ta lutte et ton amour de la vie m’ont toujours accompagnée. Même ton départ et ma colère envers toi m’ont guidée. Il me reste encore de beaux jours devant moi et je les vivrai le mieux possible, pour toi. Tu me donneras toujours la force de continuer.

      Tu sais quoi ? Je vais sortir et hurler, pour toi ; je vais frapper à la porte de mon voisin octogénaire et l’inviter à prendre un thé, un café, un apéritif. Et… je me serai habillée pour toi, pour moi…pour lui.

    Eveline

     
       
     

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    Vieillir  

     

    V oici qu'arrive le soir insidieusement, sournoisement,

    I l faisait encore si clair, il y a quelque temps

    E t ces douleurs qui font le corps se pencher

    I l nous arrive parfois de les oublier

    L entement, on avance sans pouvoir

    L e temps commande, jamais d'au revoir

    I ci lutter ne sert à rien, on peut juste retarder

    R egarder nos enfants pour toujours adorés.

     

    Lilou

     
       
     

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       Un village 

     

      Dans un ciel bleu pâle d’une limpidité étonnante rappelant celui de la mer assez proche, le  soleil resplendissait au-dessus des cimes des arbres qui dessinaient comme un large cercle au pied du mur d’enceinte du château renaissance ; des poules fouillaient les feuilles mortes dans la pente douce qui descend jusqu’à un bassin miroitant le soir au soleil couchant, une chèvre était assise à l’ombre des genêts, l’âne broutait à ses côtés, les tourterelles roucoulaient, autour un vrai concert d’oiseaux, c’est le tableau bucolique qu’offrait souvent ce charmant et paisible petit village.

      Les maisons s’étaient bâties toutes en briques rouges picardes, au fil des siècles, regroupées à proximité du château, mais alignées, serrées très modestement les unes contre les autres le long de la rue, presque unique, qui traverse le village de part en part. Si on tourne au coin de la ruelle portant le nom de la Comtesse de L. (très récemment disparue), bien connue  pour sa bonté, on découvre une très belle bâtisse en briques de pays bien sûr, très ouvragée, dentelée dans sa partie supérieure, c’est la mairie et l’école réunies, suivies d’une grande maison de maître elle aussi en briques roses magnifiques et enfin l’église du 12éme siècle entourée du vieux cimetière et du minuscule monument aux morts ; très bien restaurée, avec son large porche plein de charme, son petit clocher aux ardoises grises, ses murs aux belles pierres blanchies, ses contreforts épais la soutenant solidement à sa base, on remarque l’étrange alignement de hautes pierres néolithiques qui la bordent tout du long, en limite de rue, cette église mérite le détour, qu’on s’y arrête et qu’on prenne le temps de la contempler sous tous ses angles, longuement, tranquillement. Tout à côté, c’est le domaine du château, derrière la large grille noire coulissante et infranchissable, on aperçoit une mare bordée de magnolias et les habitations des gardiens, des fermiers, des granges immenses, des réserves de bois et des moutons qui paissent tranquillement dans un grand pré. Derrière se dissimulait à tous les regards le château, aux nombreuses cheminées, bien caché, trop secret (top secret pourrait-on dire) et ainsi conservant tout son mystère… même aux yeux des habitants de ce village picard si bien préservé ! C’était un peu dommage…

    Lucie 


     


       
     

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      Ce matin là

        Ce matin là, en posant mon pied sur ce sentier, à l'orée du bois, je n'imaginais pas à quel point le spectacle allait être merveilleux. La chaleur est déjà présente en ce milieu de matinée, et le ru qui roucoule donne une légère fraîcheur. Le soleil se faufile entre les feuilles et fait chatoyer les verts.

      Je m'avance sur ce sentier caillouteux, bordé d'arbres, de buissons ; une légère montée, et toujours ce ru qui roucoule sur ma gauche. Quelques chants d'oiseaux m'accompagnent mais j'ai beau chercher, je ne distingue pas leurs auteurs, car la végétation est dense; je surveille aussi mes pas, la pente augmente...

     

      Le ru qui roucoulait tout à l'heure s'est élargi pendant ma promenade, son chant s'est accentué et transformé en grondement. Je découvre autour de moi des amoncellements de rochers gris et roux, des lichens, des fougères accrochées ça et là. Et me voici sur une passerelle, sous mes pieds, le torrent roule son écume blanche sur les cailloux, et arrose la végétation aux alentours, de milliers de gouttelettes.

      L'ascension commence ! La passerelle suivante est accrochée à flanc de rochers; il me faut me baisser pour avancer. Des cascades se succèdent, jaillissent en jetant leur écume comme un dragon son feu. Le grondement du torrent s'accentue, et en baissant les yeux, je découvre des gouffres inquiétants mais pourtant si clairs, remplis d'eau transparente telle un miroir. Cette eau, où va-t-elle? Elle a tracé sa route depuis tant d'années, creusé dans le schiste son lit; parfois des troncs d’arbres viennent lui faire barrage ; elle n'en a cure, elle joue à saute-tronc, elle avance, et moi, je monte, je monte...

      Je vous l'avais dit: le spectacle est merveilleux ! Le parcours est pourtant angoissant; je suis à vingt cinq mètres au- dessus du vide sur quelques planches...

    Au terme de mon ascension, entre les parois de la montagne, s'est glissé un énorme rocher, coincé, pour l'éternité ; on dirait qu'il protège cette cascade ; elle jaillit avec force, avec détermination, s'offrant aux regards des aventureux promeneurs.

      La faille continue, mais je suis arrivée au bout du sentier autorisé. Il faut repartir, faire demi-tour, à regret. Je descends sans crainte, plus lentement, pour m'imprégner à jamais de toutes ces images dont la nature me fait cadeau comme pour me remercier de l'admirer.

      Je ressens au fond de moi, le calme, le bien-être, la zenitude. Est-ce le bruit de l'eau, sa fraîcheur, la végétation, ces sapins si immenses qu'on n'en voit pas la cime, la marche, l'effort fourni ou tout à la fois ?

      Je me sens vivante dans ce paysage, mais si petite...

     

    Lilou

     


       
     

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  • JO

     

    JO 

      Sur son vélo, ce matin de printemps, il part au village chercher son paquet de tabac gris tout joyeux d’avoir cette fois trouvé la cachette du porte-monnaie familial.  Sa forte consommation de bière obligeait la grand-mère à de telles ruses. Le béret bien enfoncé sur la tête, le bourgeron noir, la chemise écossaise et la ceinture de flanelle composaient sa tenue habituelle.

      S’il ne fait pas de rencontre, il sera de retour pour le repas du soir. Là, il s’installera dans un coin de la cuisine et vérifiera l’alignement de sa réserve de bières. La grand-mère servira la soupe qu’il aime bien épaisse et noircie de poivre. Son palais était ruiné par l’abus d’alcool. Un peu de vin pour faire « chabrot et direction la chambre pour sombrer dans un lourd sommeil.

      Dans une autre vie, il avait été un paysagiste talentueux, avait des notions d’anglais, buvait le café passé dans une chaussette et avalait les kilomètres sur sa mobylette par tous les temps. Puis un jour l’accident, la trépanation. Il avait eu son heure de gloire en étant choisi comme figurant dans un film sur George Sand et moins glorieusement en démontant, la nuit, les bordures de trottoir posées, le jour, par la municipalité. Habitant la dernière maison du village, les « Ponts et Chaussées » s’était arrêté juste avant sa maison : inacceptable pour lui !

      Il ne sentait pas toujours la rose, ne se lavait que pour la fête du village, mais je l’aimais : c’était mon grand-père.

    Francine

     



       
     

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      Plume

      Petit Jean sort de l’école, il rayonne de joie : il va rentrer à la maison retrouver sa maman, ses jouets et surtout Plume, son amie à quatre pattes. Mais Plume n’est pas au rendez-vous : Petit Jean l’appelle, la cherche dans la maison mais en vain. Alors de grosses larmes de désespoir coulent sur ses joues. Sa Maman, très sensible au chagrin de son enfant, décide de mettre tout en œuvre pour retrouver Plume : ce sont d’abord des affichettes posées ça et là, mais en vain.

      Alors, elle se rend dans la forêt si proche de la maison que Plume a pu s’y égarer, voire s’y blesser. Quelques traces sont visibles sur le chemin de terre rendu boueux depuis la fonte de la neige. Ces traces se perdent ensuite vers le matelas de feuilles mortes. La Maman appelle Plume, écarte les feuilles, scrute les arbres dont les branches dénudées frissonnent d’ennui, mais aucun ne lui apporte de réponse. Sous les racines d’un arbre abattu s’est formée une nappe d’eau de pluie ; inquiète, la Maman la sonde et pousse un soupir de soulagement : Plume ne s’est pas noyée.

      Plume reste introuvable et le chagrin de Petit Jean est toujours aussi présent. L’hiver s’installe, Noël approche ; alors Petit Jean fait sa lettre au Père Noël :

    « Petit Papa Noël, je ne veux pas de jouets, je veux que tu me retrouves Plume ».

      La Maman, comme vous pouvez vous en douter, est bien contrariée et achète malgré tout un cadeau à son fils afin d’atténuer son chagrin.

      Venu le jour de Noël, Petit Jean se lève, court au pied du sapin, mais qu’entend-t-il ?
    « miaou, miaou », alors il se précipite pour ouvrir la porte et là, Plume entre, amaigrie, boitant mais toujours ronronnant dans les bras de Petit Jean.

      Comme quoi le Père Noël existe bien, il suffit d’y croire.

    Arlette


       
     

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    BILLE DE CLOWN 

    Il était une fois un enfant qui avait une bille de clown.

    Tout naturellement, ses parents l’appelèrent « Bille de Clown ».

    Ils vivaient tous les trois dans un village d’une contrée lointaine,

    Village perdu où aucun chemin ne mène.

    L’enfance de Bille, c’est comme cela qu’on l’appelait,

    Fut particulière, comme qui dirait.

    A chaque fois que quelqu’un le rencontrait

    Avec un grand éclat de rire, le saluait.

    Et Bille de Clown grandit très entouré

    D’adultes plus que d’enfants déconcertés

    Par leurs parents riant à l’unisson

    A la vue d’un simple petit garçon.

    Car les enfants, bien sûr, nous le savons

    N’ont pas besoin de rire sans raison.

    L’adolescence de Bille fut plus noire

    Car son visage lui apporta des déboires.

    Ses camarades pensaient qu’il se moquait

    A chaque fois qu’il les regardait.

    Et régulièrement des coups furent donnés

    A cet ado qui voulait être aimé.

    Mais oublions cette période triste

    Car il a fallu aussi que Bille résiste

    A la tentation de mal tourner.

    Il a donc préféré s’éloigner…

    Raconter les lointaines aventures

    De cet homme à drôle de figure

    Nous prendrait beaucoup de temps

    Mais sachez que ce fut passionnant.

    Et si maintenant je vous contais

    Son retour un beau jour de mai…

    Plus personne n’eut envie de rire

    Quand avec une belle dame ils le virent

    Tous se demandèrent : « Enfin,

    Comment est il arrivé à ses fins ?

    Après ses voyages dans d’autres contrées

    Que d’argent a-t-il dû amasser ! »

    De cette aventurière, tous pensaient

    Qu’à sa bourse seule elle s’intéressait…

    Sa mère n’y tenant plus

    Demanda à l’heureuse élue :

    «  Comment un visage façonné ainsi

    A vous séduire, avait réussi ?

    - Oh ! Je n’ose tout vous dire, Madame…

    Mais quand un homme déclare sa flamme

    A un visage particulier, il ne faut pas s’arrêter.

    De la tête jusques aux pieds, des yeux plutôt le dévorer !

    Car tout homme à deux faces :

    L’une au sommet, l’autre plus basse !

    De la première vous vous gaussez ;

    De l’autre, du plaisir, j’en ai tiré. »

     

    Eveline



     


       
     

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    La dormeuse 
       Souvent, nous partions en vacances sur la cote normande, qui n’est pas loin de Paris, pas trop couru non plus, donc pas trop chère et au climat vivifiant ; donc parfait pour nos poumons de petits citadins. Je ne vais pas vous dire ou, car vous allez vous précipiter, mais c’est tellement loin tout ça que vous ne trouverez aucune trace de notre passage et des faits que je vais relater.

     

      Donc, une maison basse en bord de plage, dans des dunes où le vent fait onduler les maigres buissons et soulève un peu le sable blond. La famille, plus cousins et amis passent des jours calmes et ensoleillés, promenades, pêche, baignades (peu, fait froid), lectures et réflexions profondes. Ce jour, tout le monde est parti pour une balade en vélo, sur le chemin des douaniers, faire le tour de la presqu’ile. Enfin, c’est ce que je croyais…

      Les autres pédalaient en ahanant sur le petit sentier et je me suis dit qu’une sieste serait la bienvenue, aussi je me dirigeais calmement vers ma chambre, quand je vis une porte entrebâillée. Tiens, il y a quelqu’un ! Curieux, je jetai un œil et vis, dans la pénombre, une forme sur le lit.

      Au parfum, je reconnus Zoe, un cousine éloignée que l’on recevait parfois : 18 ans, grande, pas très belle, mais une féminité qui nous mettait tous en émoi. Sensuelle, attirante, une grâce de jeune fille, qui  promettait de belles émotions. Je m’approchai doucement… Elle dormait, une nuisette la couvrait à peine, jusqu’au ventre et le fin drap de lin repoussé au bout du lit laissait voir tout le reste.

       Tétanisé, je ne pouvais quitter des yeux le fin duvet soyeux qui recouvrait son bas ventre, la courbe du mont de Vénus. Ses cuisses écartées laissaient deviner une caverne mystérieuse et  malgré moi, une forte émotion commençait à me crisper. Sa poitrine, très belle, se soulevait au rythme de sa respiration, et je voyais les tétons érigés dans les plis du chemisier. Elle reposait, calme, presque abandonnée, les bras écartés, offerte. Soudain, elle remua… se tourna sur un coté, un bras remonta le long de son flanc et sa main se posa sur sa poitrine, qu’elle étreignit avec un soupir. Le mouvement devint plus précis, ses reins se creusèrent et une houle se leva, avec une crispation du visage qui m’était inconnu, sa respiration devint plus rapide, presque haletante. Son autre main se glissa entre ses jambes et je vis les doigts remuer en forme de caresses. Les soupirs aidant, je n’y tins plus, aussi, je crois que personne ne serait sorti aussi vite que moi, les genoux serrés et les mains étreignant une virilité galopante, boitillant dans le couloir. Quelle fuite !!!

      Plus tard, je me suis dit : Quel imbécile ! Si ça ce trouve !!!! Mais on ne le saura jamais…


    G.W.

     


     

       

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    Des points dans la tête 

      Affalée sur le sofa, j’ai la flemme, la vraie. Juste le temps de me verser un thé Chaï, de déposer quelques biscuits à la cannelle sur ma table basse et de sombrer dans les plis. Phagocytée, engloutie, comme je le suppose on peut l’être par des sables mouvants. Le thé fume auprès de mon épaule échouée sur le bord des coussins. La tête moulée dans le moelleux duvet d’oie, mes pensées sont des particules d’infini qui peinent à s’ordonner. Un besoin de néant pour équilibrer l’entropie des neurones qui reçoivent toujours plus d’informations. Ne rien faire… C’est bon, c’est salutaire, çà l’est pour moi en tout cas. Farniente dit-on en Italie.

      Les plans de mes pensées résiduelles se télescopent. Les seules qui m’attirent émergent de mes photos, celles que j’aime faire, regarder, car chacun y trouve ce qu’il souhaite y découvrir. Librement. Icebergs dérivants, elles fondent dans un méli-mélo de cellules grises et quelques flashs éclaboussés de couleurs surnagent. Portés par les volutes langoureuses du thé.

      Des formes imprécises apparaissent puis elles se regroupent par capillarité comme le fait l’huile sur l’eau. Ce sont maintenant des masses de couleurs chatoyantes qui se déploient clairement devant moi. Elles s’étalent sur des kilomètres, palette pointilliste sans cesse renouvelée, étonnante par sa diversité de teintes. Mentalement, dans mon demi-sommeil, je fais la mise au point.

      Il s’agit d’une photo prise il y a plusieurs mois déjà. J’étais invitée à bord d’un hélicoptère avec des journalistes, dont mon ami Ian faisait partie. Lorsqu’il m’a proposé une toute petite place pour faire des clichés, je n’ai pas hésité. Je me serai glissée dans sa sacoche s’il le fallait !

      Nous survolions les Côtes d’Armor pour un sujet du 19/20 sur France 3. C’était en juin 2010. Les images se sont présentées d’elles-mêmes. Les couleurs et les formes inhabituelles aimantent mon regard en toutes circonstances. J’ai tout d’abord pris mon téléobjectif, un vaste ensemble de taches colorées m’avait séduite. Elles se composaient autour de motifs réguliers à la manière des biscuits rangés dans une boîte, braves petits soldats alignés ; ou comme les masses colorées d’une palette. Et cela, sur une surface gigantesque, à en juger par l’ampleur de la couverture multicolore. Un patchwork pour géant étalé sur les prairies vertes Bretonnes, bordées par une mer moutonneuse.

    -      Dis-moi, Ian, tu connais cet endroit, là-bas, avec ces couleurs, lui hurlais-je aux oreilles en soulevant son casque. Pas moyen de faire autrement, tant le bruit était assourdissant sous les pales, les portes latérales étaient largement ouvertes.

    -      Non, je ne suis pas de la région, connais pas… répondit-il.

    -      Ok, merci ! Tant pis…. Je le dérangeais, tout absorbé qu’il était par son reportage, normal après tout !

      L’appareil se rapprochait, ce qui m’avait semblé si beau, de loin, n’était en fait qu’une gigantesque casse-auto. Elle s’étendait sur un bon kilomètre et s’élevait sur plusieurs strates de véhicules compressés. Edifice défiant les lois de la gravité où l’ordre aléatoire de la composition offrait cependant une illusion de beauté. Une fresque improvisée sous le regard des mouettes qui n’y entendaient rien !

      Les voitures s’empilaient, s’emboitaient en une anarchie chromatique qui semblait si étonnante de loin. J’avais déjà fixé des tableaux colorés dans le désert. Des dizaines de tapis exposés à toutes les intempéries, aux roues des camions. Une plus-value visuellement intéressante. Ce Lego métallique, lui, édifié par une main gigantesque ; offrait plutôt le spectacle de l’abandon. Un grand César, désolant d’incongruité, décerné à la négligence humaine occupant à lui seul une zone de nature sauvage.

    Une œuvre inachevée, comme un geste sans élégance interrompu avant la fin d’un cycle. J’ai quand même fait des clichés, parce qu’il y avait, malgré tout, une certaine beauté à mettre en valeur. Mais un arrière-goût amer m’a soudain envahie, j’avais mal à l’intérieur…

      Et puis, soudain, les taches, les lignes, les couleurs, tout s’est mis à fondre, à dégouliner comme une glace sur son cornet de gaufrette en plein soleil… J’avais chaud… Je transpirais… Ma peau a commencé à me brûler… Entre mes paupières mi-closes, un immense tableau aveuglant, celui du soleil impitoyable de juillet, m’avait sortie de ma torpeur. Je m’étais assoupie assez de temps pour que, dans sa course, il inonde mes fenêtres. Mon thé était froid maintenant et devant mes yeux alourdis par les songes, juste sur le mur en face de moi, j’observais le cadre d’une belle photo multicolore prise un jour, en Bretagne.

     

     

    Ghislène 

     


     

       

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