• RAYMOND

    RAYMOND  

       

    Depuis 15 ans, Raymond était maître-nageur à Méru, Oise. Ses journées inlassablement se ressemblaient : ce n’était pas passionnant. Chaque jour, il accueillait les scolaires- avec entrain- et tâchait de leur apprendre les rudiments de la natation. « Allez, à l’eau ! Pour commencer quatre longueurs… après on verra ». S’ils étaient réticents, il ne les forçait pas. « Tu veux pas l’faire ? J’m’en fiche, moi, je sais nager, mon gars ». S’ils étaient anxieux, il ne les forçait pas. « Pas de traumatisme, c’est mauvais ! », telle était sa devise. Les meilleurs nageaient et n’avaient pas besoin de lui. Un jour, un mauvais plaisantin- vous savez comment sont les gamins- lui dit d’un air affolé : « Raymond, vite, y’a Pierre qu’a plongé dans le grand bassin et il ne remonte pas ! » « J’n’ai rien vu, c’est vrai, c’t’histoire-là ? » Alors, calmement, sans précipitation, Raymond ôta son sifflet- il fonctionne beaucoup moins bien quand il est mouillé- posa son portable et ses clefs, déchaussa ses claquettes et plongea ! « Bravo, il sait nager, il sait nager !... » s’exclamèrent les élèves. Raymond en ressortit tout penaud. Cette malencontreuse expérience eut un effet étrange sur lui. Alors qu’il ne quittait pour ainsi dire sa Picardie natale- même pas pour les vacances-, Raymond eut envie de mettre les voiles, de voir le large, d’humer l’air marin. « Trop petit c’bocal » répétait- il à qui voulait l’entendre. « C’est comme si on m’avait raboté les nageoires ; vous voyez, ça et là, un poisson aux nageoires tronquées ? » Son idée lui tenait tellement à coeur qu’il voulut aménager son espace vital- son bassin-. Chaque jour, il apporta différents éléments marins. -« Et du sable et des transats », le lundi. -« Et des galets », le mardi. -« Et un bateau- petite coque de noix, tout de même, pas un chalutier », le mercredi. -« Et des filets et des mouettes », le jeudi.-« Et un phare », le vendredi. Pour cela, il avait peint sur les parois vitrées mais on entendait quand même la sirène et on voyait les signaux lumineux. -« Et des poissons, des coquillages et des crustacés », le samedi. Le directeur de la piscine, d’abord enchanté par l’initiative de Raymond, jugeait que ça commençait à …sentir. -« Et pour finir, une bonne petite marée noire », le dimanche. Il lui avait manqué de temps pour de beaux raz de marées et de beaux naufrages… « Raymond, là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : on est obligé de fermer l’établissement ». Raymond sombra dans une profonde dépression qui dura deux mois. C’était pas un mauvais bougre, ça faisait peine à voir. Il enfilait ses palmes et son tuba et parcourait alors d’innombrables longueurs. Les medias régionaux, amusés, avaient eu vent de ses frasques. -« Ici, en direct de la piscine de Méru, reconvertie en bord de mer… Des scientifiques de faculté de Bordeaux, prirent connaissance de cette histoire et se déplacèrent pour étudier ce spécimen picard bien particulier. On lui prodigua une sorte de scaphandre jaune à pois roses et on le déposa au fond du bassin pendant plusieurs jours. La nourriture lui était injectée par des tuyaux- ne me demandez pas comment, je l’ignore, quant à ses déjections, cela reste un entier mystère. On fit agiter l’eau : clapotis, remous, tempête de force 8. La météo marine était diffusée toutes les heures, on diffusait aussi les piaillements d’oiseaux marins ainsi que les chants des baleines- à moins que ce ne des sirènes…-Les badauds se pressaient, toujours plus nombreux. Au bout d’une semaine, on le remonta. -« Alors, Raymond, cette expérience ? » -« … » Raymond était mutique. Tout au plus, il fermait et ouvrait régulièrement la bouche, comme un poisson. ON décida de le délocaliser sur l’île de la Réunion. Les trois premières semaines lui ouvrirent des horizons insoupçonnés. Raymond s’avéra un as du surf. Chaque jour, il taquinait les vagues de plus en plus grandes, de plus en plus lointaines. Un requin coquin eut raison de sa fougue et d’un grand coup de gueule, transforma le zélé surfeur en club-sandwich. Sur la plage, seule sa planche, fut retrouvée.


    Françoise Danel

     


         

    Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais

    N°07 - Juillet  2012   

    « Bulletin Météo du 30 juillet 2012Ola Polka »

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