• Rétrospective

     

    Rétrospective

    Des Publications du 28 avril au 6 mai   

     L’édito de Françoise Danel en Baie de Somme  

       

      Un mois déjà que j’égrène les jours : je dois rédiger l’éditorial de la rentrée et…je repousse à plus tard la tâche. Procrastination, quand tu nous tiens…

      Plage de la Maye ? Mais où se trouve-t-elle, cette satanée plage ? Je circule dans la bourgade côtière à cette heure matutinale à la recherche d’une place de stationnement gratuite tout en évitant les sens interdits qui sont légion et en renonçant à ma trajectoire devant les grilles dressées qui abritent le marché hebdomadaire. Comme je refuse de céder à la pression du GPS et à l’abêtissement généralisé du troupeau des conducteurs, je peste contre moi-même : ah ! si j’étais partie plus tôt, ah ! si je m’étais renseignée plus amplement…et contre l’absence de d’indications précises pour les quidams de passage.

      Les minutes s’écoulent, mon impatience grandit. L’impression confuse de l’inutilité de mon périple  m’envahit. La consultation  du plan de la ville arrête le processus et distille enfin quelque espoir. Je sors du Crotoy à dix heures. La pratique du quart d’heure picard de retard m’ôterait une épine du pied et m’offrirait la possibilité d’arriver avant leur départ. Alors que je me gare, le groupe se met en marche. J’arrive à temps ! A moins d’être   indigène, tout un chacun a eu les pires difficultés à découvrir le point de rendez-vous de cette ballade picardisante qui s’avère truculente.

      Sentiers ombragés : histoire d’oiseaux et de son monarque, le roitelet.

      Sentiers sableux : marche hésitante où chaque grain qui s’insinue dans les souliers retarde chaque pas.

      Végétation dunaire : tamaris, argousier, vipérine, bouillon blanc et onagre, deux merveilleuses plantes aux fleurs jaunes  goûteuses  et délicieusement parfumées. Pause et nouvelle histoire : Adam et Eve au jardin d’Eden avant d’en être chassés.

      A mes pieds, pas de pomme insidieuse et juteuse,

      Pas de péché originel,

      Seulement des feuilles rabougries et des corolles rosées de liseron qui disputent âprement leur présence en milieu hostile


     

     

    Ç’était demain 
    Le bâtiment est toujours là, paré de ses portes monumentales, tel que je l’avais connu. A deux pas du centre-ville, la bâtisse du XVIIe se dresse fièrement. Deux étages, pas plus. Une façade flanquée de six fenêtres de près de deux mètres. L’élégance, la sobriété calculée, le luxe d’un hôtel particulier. Au numéro 11 de la rue Paillot de Montabert.  Du bon côté. De l’autre, ils ont effacé l’ancien fief des prostituées. Dans ces ruelles étroites de la vieille ville de Troyes, il y a trente ans de cela, les filles se faisaient face, en vitrine, comme dans les capitales du Nord. Maintenant, tout est propre, aseptisé. Les mêmes enseignes dans toutes les villes. Points de repère pour ceux qui ont peur de l’Inconnu, elles ponctuent les quartiers autrefois malfamés et crasseux.

      J’aime pénétrer sous le porche par la petite porte inscrite entre ces deux mastodontes de chêne grisé. Sur les pavés, meulés par les roues cerclées de fer des calèches, on peut encore entendre résonner le pas des chevaux. La cour carrée est à l’abandon. Au centre, le massif n’abrite plus les fleurs odorantes et chatoyantes qui regardaient passer les cieux changeants de Champagne, s’amusaient des va-et-vient des calèches transportant des notables en perruques, parfumés et poudrés. La valse des maîtresses à faire rougir les pivoines. L’appartement de ma tante Kousmine se trouvait au premier étage. Son mari était linotypiste, atteint de saturnisme ; il avait mis fin à ses jours à l’âge cinquante ans d’un coup de révolver. Il m’a fallu poser bien des questions pour savoir la vérité sur sa brutale disparition. J’y venais enfant me délecter de liqueur de cassis maison. J’engouffrais les saucisses chaudes entassées sur les pics alors que les adultes parlaient, indifférents. Ma passion, pendant ces heures interminables, se trouvait dans le petit salon. J’arrangeais à ma façon « La Marche Turque », virtuose d’un jour, happée par la masse du piano demi-queue qui sentait l’encaustique. Saoule de musique et de crème de cassis, je sortais heureuse comme un enfant peut l’être de si petites choses. La nuit serait douce; j’étais une artiste.

      Dans les années 70, ce quartier médiéval devait être rasé. Parkings ou immeubles neufs. Fort heureusement après une visite à Rouen, le maire de l’époque, Robert Galley, décida qu’il conserverait lui aussi la vieille ville telle quelle. J’arpente. Les rues bordées de maisons à pans de bois. La tour du boulanger au croisement des deux rues principales. La ruelle des Chats si étroite qu’il suffit d’étendre les bras pour toucher les murs opposés. L’hôtel particulier du Vauluisant, en pierre sèche calcaire, un chef d’œuvre architectural, dont le nom m’envoûtait. Le cinéma L’Alhambra, avec son patchwork d’affiches, maintenant fermé et tagué. Partout des poutres sculptées que l’on découvre dans les hauteurs et les rues pavées glissantes où les pas résonnent. Que fais-je donc ici ?

      Août, comme juillet, sous la pluie. Depuis plusieurs années déjà. Est-ce dû au réchauffement climatique ?  Aux variations enregistrées depuis des millions d’années par notre système solaire à chaque passage dans un bras de la Voie Lactée ?

     Moi qui suis restée là, enfermée à travailler, je m’en moque un peu…

      Les nuages, masses sombres, se lient. Les colères du vent détruisent les tableaux ourlés qu’ils ont construits. La terre mouillée développe des relents de sang séché et de fer humide. Ces fragrances singulières s’exhalent sous les caresses de l’eau.

      Mes racines champenoises avec ses étés brûlants, soleil de plomb des vacances à la campagne, douces rémanences sous mes paupières d’adulte. A fleur de peau. Y en aura-t-il à nouveau ?

      Mes souvenirs d’enfant refont surface comme les poissons prisonniers des longs de filets de traîne.

      Le potager de mamie Valérie était caché par les plants d’asperges folles à côté du puits en bois bancal. L’odeur du carré de fraises ; on mangeait en silence pour ne pas être découvertes, mes amies et moi. Mais le silence ne suffit pas à masquer les larcins des enfants…

      Mon jardin se trouvait derrière un grand sapin, celui d’un Noël glacial ;  le gel brisait nos phalanges. Ses longues branches abritaient la tombe de ma souris Minnie surmontée d’une croix en bois de sureau. Au printemps, des œillets de poètes égayaient les rangées de laitues croquantes, de radis et de fines carottes pas encore dédoublées. Les tamaris délimitaient le potager dans un halo rose et vert. Derrière le grillage, la basse-cour et son coq Marcel. Il sautait sur mes jambes, ses ergots lancés vers moi, lorsque je pénétrais pour récupérer les œufs. Il me terrifiait, il me détestait peut-être aussi. Pour me consoler et me féliciter, mamie préparait un grand bol de riz au chocolat. De quoi retourner affronter à nouveau Marcel pour un autre bol.

      Dans ce village natal je passais tous mes étés. A une quarantaine de kilomètres de Troyes. Le noyer quatre fois centenaire m’accueillait chaque jour. Absorbée, je contemplais le panorama du haut de ma branche. J’étudiais les moindres changements du ciel, des chants d’oiseaux et des couleurs de la terre, des champs, des forêts. L’odeur chaude des blés mûrs m’arrivait par vagues successives. J’y devenais stylite. J’adorais la solitude. Et ne connaissais qu’elle. La maison familiale se trouvait dans un hameau isolé du centre du village. Trois cents habitants en comptant les chats errants, les chiens et les troupeaux de vaches. Grand terrain de jeu qu’un enfant parcourait librement, en toute sécurité.

    Ghyslène Robbe

    LE TROU DU DIABLE

    Autant de nantis que de pauvres gens sont nombreux à se rendre à la croisée des chemins.

      Ils restent là un moment les yeux grands ouverts sur le trou sans fond. Puis tous s’en reviennent par les vieilles haies d’épines noires.

      À tout prendre, mieux vaut garder par devers soi sa misère, que de perdre son âme à la décharger dans le cul de basse-fosse du Diable.

                           Gilles Toulet

    ÉCH TREU D’ DIAB’
    Tant d’nintis qu’éd pov’ gins, is sont gramint à s’rènne à l’croésée d’chès c’mins.

      In momint, is rest’é lo à bayer d’vant ch’treu sans fond.

    Pi tertous is s’ inrviennt’t pèrt chés vieilles hailles d’épeines noères.

      À tout prènne, i veut miu warder pèrt édvers li s’mizér, qu’éd perd’ esn âme à l’déquertcher din ch’tchul d’basse-fosse d’éch Diab’

      Les Petites Chansons 
        Tes chansons m'a dit un ami
    Ont un petit air de famille
    Elles sont les petits-enfants
    Des chansons de nos grands-parents
    Génétiquement allergiques
    A la musique synthétique
    Ecrites dans la tradition
    Des p'tites chansons
    Mes chansons c'est toujours pareil
    C'est plutôt du confidentiel
    Tu peux remballer tout Coco
    On veut d'la muzak du disco
    Elles ne rapporteront pas même
    Des clopinettes à la SACEM
    Je les écris pour pas un rond
    Mes p'tites chansons
    Mes petites chansons me soulagent
    Elles grattent où ça ma démange
    Elles ont aussi le défaut
    De ne remuer que des mots
    Pour dire ce qui va pas sur terre
    Il faudrait plus qu'un inventaire
    Ca sera jamais assez long
    Une p'tite chanson

    Mes petites chansons monotones
    Même si elles ne plaisent à personne
    Moi je les cultive en secret
    Entre les pages d'un cahier
    Je les peaufine, les fignole
    Je les bichonne, les cajole
    Je me chante sous l'édredon
    Mes p'tites chansons
    Peut-être vous aussi un jour
    Ressentirez à votre tour
    Comme un petit besoin pressant
    L'envie de mettre noir sur blanc
    Un coup de cœur, un coup de misère
    Un coup de sang, un coup de colère
    Vous écrirez dans votre ton
    Une p'tite chanson
    Post-scriptum des années plus tard
    En rechantant ça par hasard
    Je me dis mon petit Patou
    La chute est un peu molle du genou
    Sors ton stylo, faut que tu fasses
    Une fin qui soit vraiment classe
    Car elle pourrait devenir ta
    Centième chanson!

    © PATRYS
      Les pruniers 
     

    Mon voisin est un menuisier-ébéniste de talent, travaillant différentes essences d’arbres pour le plus grand bonheur de ses fidèles clients. Le seul bois qu’il ne travaillera pas est celui de ses pruniers devenus imposants au fil du temps, quelques décennies ont suffi pour former un bosquet bien ombragé, à l’abri des regards. Mais ils ont fait de nombreux « petits » alentours, d’abord de minuscules scions, puis se sont installés tout contre la clôture grillagée mitoyenne créant un rideau de troncs serrés, longilignes, en finissant pas de monter vers le ciel. Cadre sympathique, original, une barrière végétale contre le vent d’ouest au début, puis la croissance de ces pauvres pruniers est devenue insupportable, (inquiétante même !) et après concertation de voisinage, il a bien fallu se résoudre à s’en séparer.

      La tronçonneuse a rempli sa mission, patiemment et rapidement, impitoyablement, mais dégageant une nouvelle vue, une délivrance, un soleil qui traverse à nouveau l’espace reconquis. Le menuisier en a profité pour procéder à un vrai et nécessaire nettoyage autour de « sa petite forêt », le paradis sur Terre, enfin presque…

      Les semaines, les mois passant, on a vu une multitude de jeunes pousses (de pruniers bien sûr) sortir de terre, gagner toujours plus de terrain, grandir et devenir des scions, de nouveaux scions indésirables, mais bien présents, bien vivants… prendre possession des lieux à nouveau chez notre sympathique artisan ! Situation désespérante, un tantinet angoissante, on reste pantois, on se sent tout petit devant une telle manifestation de puissance de la Nature.

      Bien sûr une autre intervention de l’homme (mon voisin) est souhaitable, imminente, urgente, radicale (elle sera faite très prochainement et ne sera pas la dernière malheureusement pour notre ami), afin de discipliner quelque peu cette Nature indomptable mais si chère à nos cœurs.

            Lucie Centro
      La fée Morgane 
      Il lui a donné rendez-vous sur la fête foraine. Elle embrasse sa grand-mère, qui suce des bonbons devant la télé.

    « Je rentre pas tard, Mémé...demain, j'ai cours! »

      Elle descend par le Mont Capron: elle aime passer devant le petit théâtre de verdure, sous la voûte des arbres. Il y fait frais et sombre. Le temps de quelques respirations, elle se sent comme la fée Morgane dans la forêt, au milieu des sortilèges. Pour ça, il lui faut ignorer le groupe de garçons braillards assis sur les marches du théâtre, entourés de packs de bière. Elle n'a pas peur, elle les connaît, leur fait un petit signe de fée. Marc sera près de la barbe à papa. Elle se prépare, il va falloir lui dire...Il a pris trop de place dans sa vie, la place du propriétaire. Ah ce geste, quand il la saisit par la nuque...!

    « Viens par là, tu es à moi !».

    L'autre jour, il a dit à Mémé, en rigolant:

    « Si elle me trompe, je la tue! »

      Jamais elle n'aurait cru ça possible, elle veut de la légèreté, de la liberté. S'appartenir. Voir sa vie devant elle. Une route sous le vaste ciel et partout des chemins tentants à prendre à sa guise. Elle sent bien que Marc ne serait pas un bon compagnon, qu'il l'empêcherait de s'envoler. C'est pour ce soir: elle va lui dire...qu'est-ce qu'elle va lui dire ?

    « Ecoute, j'aimerais qu'on arrête de se voir, nous deux... »

    Juste cette phrase... elle n'arrive même pas à l'imaginer. Pourtant, plus elle attendra, plus il s'installera dans l'illusion d'un futur : un petit couple, une petite maison, de petites idées. Une petite vie sans rien dedans, que du désespoir d'oiseau en cage.

      Arrivée en vue de la Place du Jeu de Paume, le cœur lui manque, elle s'assied un moment sur l'herbe, face au Lycée Félix Faure, son lycée. La fête fait son bruit violent, sa tête se remplit de chaos. Elle regrette de s'être emballée pour un garçon « peu recommandable », comme dit Mémé, Mémé qui prétend aussi l'avoir vu jouer avec un cran d'arrêt, « une lame grande comme ça, tu parles si j'ai eu peur ! »...

    Allez, debout, va lui parler, tu es une grande fille, tu es la fée Morgane... Elle l'aperçoit, une barbe à papa dans chaque main, la mine sombre, sûrement parce qu'elle est en retard. Elle le trouve ridicule, sa décision s'affermit.

    – Salut !

    – Salut !

      Il lui tend le fuseau poisseux, l'embrasse, ils marchent. Elle s'excuse pour le retard. Ils longent les stands sans les voir, dans les cris, les rires, les tirs de carabines, les musiquettes, le scintillement brutal des animations lumineuses. Elle se sent étrangère. Ils ont fini leur barbe à papa, le silence pèse. Elle l'emmène à l'écart du vacarme et des lumières. Elle lui parle, enfin...Elle demande pardon, elle dit tout, surtout sa volonté de vivre libre, et, pour finir, qu'elle ne l'aime plus. Il se tait, sonné, très pâle. Puis en la regardant dans les yeux, il sort en un éclair le couteau de sa poche, dégage la lame luisante, et frappe. Au cou. Fort. Plusieurs fois. Du sang. Elle tombe sans crier. Il part en courant. Personne n'a rien vu. Le sang coule dans l'herbe, c'est fini. Sa petite âme s'envole, elle se sent légère. Elle monte, monte. Elle voit toute la place maintenant, la foule, les manèges, une agitation brouillonne, des groupes se font, se défont, des enfants courent, des amoureux se regardent, des jeunes tirent sur des cibles en carton, et partout ça scintille, ça clignote ...elle n'entend rien, pas un bruit, elle flotte au-dessus de la vie... Enfin, elle l'aperçoit, il marche sans savoir, pâle, si pâle, petit garçon perdu. Elle aimerait le prendre dans ses bras, le bercer. Tout est réparé, c'est ça qu'elle voudrait lui dire. Il nettoie le couteau au robinet, derrière un stand.

    « Oui, fais ça, c'est bien! Personne ne saura que c'est toi... »

    Elle monte encore et encore, apaisée. La mort commence...

     

                          Dominique Langlet

     
     
     
         

    Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais

    N°04 - Octobre 2011

    « Plants en godetsUne Semaine de Post-its »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :