• Flashback

    Les dix raisons de l'échec de Nicolas Sarkozy

     La « grosse surprise » espérée et promise par Nicolas Sarkozy n'a pas eu lieu. Le scénario inscrit depuis des mois dans les courbes des sondages s'est produit. Dix explications de cette défaite, plus impressionnistes que scientifiques.
    1. La simple loi de gravité politique
    La droite était installée à l'Elysée depuis 1995 (dix-sept ans jusqu'à aujourd'hui) et à Matignon depuis 2002 (dix ans) : le désir d'alternance et de « donner sa chance » à celui qui n'a pas encore de bilan constitue l'explication la plus évidente de la victoire de François Hollande... à laquelle il faut ajouter l'ardent désir de la gauche de retrouver le pouvoir. Par ailleurs, la différence avec 2007 saute aux yeux : il y a cinq ans, le paysage politique se décomposait en trois blocs (PS-centriste-UMP) ; en 2012, il est modifié (PS-centriste-UMP-FN). Pour le candidat Sarkozy, le grand écart était pratiquement impossible.
    2. La dure situation économique
    Aucune équipe sortante n'a jusqu'à maintenant survécu à la crise, et Nicolas Sarkozy pas plus que les autres. George W. Bush, Gordon Brown, José Luis Zapatero, tous ont été balayés depuis 2008. La hausse du chômage, le climat économique et les mesures de rigueur (moins dures qu'ailleurs mais hyper-médiatisées) ont rendu le président sortant impopulaire. Ce qui a été jugé n'est pas le bilan en valeur relative dans un contexte donné (il est honorable, notamment avec des réformes), mais en valeur absolu, même si cela a peu de sens (il est médiocre).
    Le jeu de domino va-t-il continuer ? Les mois à venir verront se dérouler des élections aux Etats-Unis, en Italie et enfin en Allemagne...
    3. L'équation personnelle du candidat
    Dans la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait théorisé la mise sous tension du débat public autour de ses idées. Son énergie, son goût de la transgression, son hyper-présidence (à la fois concentration des pouvoirs et banalisation de celui qui les exerce) ont « hystérisé » son mandat.
    Aux yeux du monde, son énergie était admirée et son leadership reconnu à Washington, Berlin et Pékin. Mais aux yeux d'une partie des Français, son énergie est devenue négative (au sens physique du terme, répulsive), autre façon de parler de rejet parfois « tripal ». {« Ce sera très difficile parce qu'on va payer les erreurs du tout début, pourtant totalement secondaires} », déplorait déjà à l'automne Jean-François Copé, le patron de l'UMP.
    Le parallèle avec Valéry Giscard d'Estaing est frappant : tous deux ont eu à affronter une crise (pétrolière, financière) ; tous deux ont été élus parce qu'ils sont apparus comme des opposants à leur propre camp ; tous deux sont apparus jeunes et énergiques au moment de leur élection ; tous deux ont tenté l' « ouverture » politique (JJSS, Giroud, Kouchner) ; tous deux ont traîné le boulet de comportements personnels critiqués, peu importe que le reproche ne soit pas fondé (Diamants, Fouquet's). Tous deux ont aussi effectué des réformes plus importantes que cela n'a été perçu au départ.
    4. Des embardées difficiles à suivre
    Le président voulait être le champion du « story-telling » et du « carpet-bombing » (deux expressions utilisées dans son entourage) pour signifier la volonté de saturer le terrain politique et médiatique avec des annonces. Cela a été vrai pendant cinq ans, et encore plus vrai dans la campagne, pour des raisons politiques (voir plus haut).
    Une partie de son entourage militait pourtant pour une campagne différente, sur le registre : « pendant cinq ans, je vous ai protégé et j'ai préparé l'avenir ». Et de citer : la réforme des universités, le Grand emprunt, le Grand Paris, le Grenelle de l'environnement malgré tout. Réponse du candidat : « On ne gagne pas sur un bilan et les Français qui votent Front national veulent un autre discours ».
    Il a du coup choisi une ligne immigration / anti-Europe / non à la rigueur / rejet des corps intermédiaires, contraire au moins sur les trois derniers points à son discours antérieur et son action. Et moins présidentielle que l'image qu'il avait voulu forger (Géorgie, G20, Libye...) alors même que la stature d'homme d'Etat de lui était reconnue, y compris dans les tout derniers sondages.
    N'a-t-il pas fait, enfin, une erreur d'analyse sur les ressorts du vote FN ? Le score élevé de Marine Le Pen dans les milieux ruraux ne signifie pas nécessairement un rejet de l'immigration mais plutôt un sentiment d'abandon.
    5. Un nouveau mandat, pour quoi faire ?
    La gauche, et notamment François Hollande pendant le débat télévisé de l'entre-deux tours, a réussi à installer Nicolas Sarkozy dans le corner du bilan (un débat télévisé que les proches du président sortant reconnaissent ne pas avoir préparé avec leur candidat). La clef de son deuxième mandat aurait été, à l'entendre, la compétitivité de l'économie française et la réforme de l'Etat providence pour répondre à l'exaspération d'une partie des Français sur l'assistanat. Mais il n'a pas trouvé les mots clefs à retenir (« la fracture sociale » de 1995, la « valeur travail » de 2007).
    Sur l'Europe, c'est encore plus frappant. Il y a consacré une part exceptionnelle de son temps (présidence de 2008, crise grecque...) mais il n'a jamais développé la vision générale qu'il avait de son avenir (sinon, la chaise-vide sur Schengen), préférant peser en coulisses sur Angela Merkel plutôt que d'affirmer ses positions. Résultat : François Hollande a occupé seul l'espace du « non à l'austérité, oui à la croissance » en Europe quand la situation espagnole a modifié les esprits.
    6. Un virage mal négocié
    A l'été 2009, deux de ses proches, Xavier Musca (conseiller économique puis secrétaire général de l'Elysée) et Raymond Soubie (conseiller social jusqu'en 2010) lui ont conseillé de changer de cap. La crise justifiait, selon eux, une inversion des priorités en axant toute la politique sur le redressement assumé de la France. Des réformes chocs (35 heures, compétitivité...) qui auraient été contrebalancées par l'abandon également assumé du « paquet fiscal ».
    {« Il fallait sortir du contre-pied intenable qui nous faisait vendre la rigueur aux marchés et la relance à l'opinion »}, soupire un ex-conseiller de Christine Lagarde à Bercy.
    Le refus de ce tournant n'a satisfait ni les partisans de la rigueur, ni les syndicats, qui n'ont eu de cesse de dénoncer une contradiction entre les efforts demandés sur la réforme des retraites et des « cadeaux aux riches ».
    Nicolas Sarkozy a par ailleurs surestimé le réformisme et la volonté de la CGT d'entrer dans des donnant-donnant. {« La génération aux vraies commandes du syndicat de Bernard Thibault, ce sont encore des anciens du Parti communiste »}, décrypte un expert social.
    7. La mauvaise foi du camp d'en face
    Tout au long du quinquennat, la gauche a réussi plusieurs vrais hold-up sur le plan politique : en assimilant dès l'été 2007 le plan de relance TEPA au seul bouclier fiscal qui ne représentait que quelques centaines de millions d'euros sur une douzaine de milliards ; en imposant dans le débat public l'indicateur le plus large pour l'évolution du chômage (le fameux million supplémentaire) ; en bloquant au Conseil constitutionnel la taxe carbone tout en réussissant à faire croire que le pouvoir avait reculé sur l'environnement ; en s'indignant pendant la crise de la modestie du plan de soutien à l'économie pour fustiger deux ans plus tard l'augmentation des déficits et de la dette ; en refusant de soutenir les plans européens et d'aide à la Grèce -cas unique en Europe ; en évoquant de façon répétée « l'Etat Sarkozy » sans saluer les nominations de personnalités de gauche à des postes sensibles ou en refusant de voir que Bouygues et Vivendi, pour ne citer qu'eux, paient cher l'arrivée de Free.
    L'opposition a fustigé des réformes qu'elle gardera pour l'essentiel (service minimum dans les transports, universités, hausse du seuil d'entrée dans l'ISF, service public de l'emploi, burqa etc.). Présenté comme un communicant hors pair, le président sortant s'est la plupart du temps pris les pieds dans le tapis.
    8. La bonne campagne de François Hollande
    Le candidat socialiste ne s'est trompé ni sur l'airbag de sa campagne, ni sur son plan de route, ni sur son agenda. Son airbag ? Le souvenir de 2002 a rassemblé très vite la gauche et il n'y a jamais eu aucun doute sur les consignes de vote au second tour. Son plan de route ? Il a beaucoup misé sur l'anti-sarkozysme, très réel, et ne s'est pas installé dans le « duel » dont rêvait un Nicolas Sarkozy qui a manifestement sous-estimé son adversaire.
    Du coup, il n'a pas eu à donner énormément de gages à la gauche de la gauche. François Hollande a inscrit son projet dans un sérieux affiché sur les finances publiques (il est tenu par un retour à l'équilibre en 2017) même si les moyens pour y parvenir restent largement imprécis hormis les hausses d'impôt.
    Ensuite, la proposition d'un taux à 75% sur la part des revenus supérieure au million d'euros apparaît comme un coup de génie politique (économiquement, c'est autre chose...) dans la mesure où elle lui a permis de contrer l'image de mollesse qui lui était opposée.
    L'agenda ? Les négociations avec les Verts ont eu lieu suffisamment tôt pour qu'elles soient vite oubliées, et les approximations du programme (sur la fiscalité) lui ont permis de rectifier le tir assez vite. François Hollande a enfin convaincu que sa colonne vertébrale idéologique personnelle était sociale-démocrate et il a commencé à « atterrir » ces dernières semaines.
    9. Une relation aux médias très compliquée
    Tous les journalistes qui suivent la politique depuis longtemps peuvent le dire : rarement un chef de l'Etat n'a suscité autant d'engouement avant son élection et de critiques après. Ont-ils voulu se faire pardonner l'empathie qu'ils avaient longtemps manifestée ?
    Les « Une » des magazines se sont longtemps bien vendues dans un cas comme dans l'autre...
    On peut tenter également une autre hypothèse : le mandat a coïncidé avec la grande interrogation des médias papier sur leur avenir face à la multiplication des canaux d'information. L'affirmation d'une ligne éditoriale plus engagée, allant jusqu'à l'inadmissible (« L'Humanité » affichant Pétain et Sarkozy cote-à-cote) est apparue à certains comme une solution au déclin du leadership du papier.
    Mais ce n'est pas tout. Dans le concret, le pouvoir sortant a pâti de la distance qu'il a instaurée avec les journalistes. Jamais un Premier ministre n'avait eu aussi peu de contacts avec les médias que François Fillon. Nicolas Sarkozy lui-même, pendant la plus grande partie de son mandat, a gardé la même distance. A l'inverse de ce qui se passe dans les autres grandes démocraties, les conférences de presse en France ont été rarissimes.
    Sa stratégie médiatique a enfin été étrange pendant la campagne. Un seul exemple : le président sortant a été le seul des cinq grands candidats à ne pas accorder d'interview aux « Echos », alors que le public des chefs d'entreprise attendait ses propos économiques...
    10. Un quinquennat, c'est court

    Envie de changement, fatigue de la crise, stratégie difficilement lisible du président puis du candidat : la défaite était prévisible. L'étonnement vient du coup du score finalement obtenu par Nicolas Sarkozy. Aux alentours de 47-48 %, il est honorable et est en décalage avec « l'atmosphère » de ces derniers mois. Le président sortant a été battu, il n'a pas été balayé.
    Il n'en restera pas moins celui dont le mandat aura été le plus cours depuis le début de la Ve République (hormis celui interrompu par la mort de Georges Pompidou). La logique du quinquennat est que le président réalise deux mandats pour entrer de plain-pied dans l'Histoire (comme aux Etats-Unis). Le passage au quinquennat aura sans doute été -dixième facteur d'échec -fatal à Nicolas Sarkozy : une fin de mandat en 2014 lui aurait-elle été plus favorable ? Toujours est-il que la campagne présidentielle aura été la plus longue de la Ve République (un an) alors que le temps s'est rarement autant accéléré qu'au cours de ces dernières années.
    DOMINIQUE SEUX


     
     
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