• De la Marquise de B. à sa nièce Sidonie…

    De la Marquise de B.

    à sa nièce Sidonie…  

       

    Ma chère petite, Comme promis, vous trouverez dans ce pli quelques lignes à porter sans surseoir au fringant Chevalier de F. Poudrez votre décolleté, usez de musc, pour le reste la nature y a pourvu, vous êtes aussi fraîche qu'un muguet. Mais n'oubliez point le jupon de dentelles, le Chevalier y est sensible, il m'en souvient, hélas. Vous irez seule, donc à pied. Pas de chaussures en satin, les rues de Paris vous crottent une élégante sitôt qu'elle y marche...Faites en sorte que le Chevalier vous introduise en son boudoir, c'est là qu'il se tient avant de se rendre chez quelque belle dame. Tendez-lui mon billet avec une modeste révérence qui révélera votre cheville, gardez toutefois les yeux baissés. Puis levez-les pour répondre aux questions qu'il ne manquera pas de poser. « Oui, la Marquise de B. est ma tante, elle vous fait tenir ce message, car vous lui manquez » Ce disant, regardez-le droit dans les yeux, qu'il a fort beaux,laissez-vous légèrement troubler, mais reprenez-vous dans l'instant comme il est de règle chez les jeunes filles bien nées élevées au couvent. Le Chevalier vous jaugera des pieds à la tête, et surtout entre les pieds et la tête. Restez sotte. Sans doute vous effleurera t-il le bras, vous êtes encore presque une enfant. C'est le moment que vous choisirez pour dire de votre voix douce : « Puis-je me retirer ? Je reviendrai quérir demain votre réponse ». Vous verrez alors qu'un feu s'allumera en lui à la pensée qu'aucune citadelle n'est imprenable... Le lendemain, faites-vous amener, il entendra le bruit des roues sur les pavés de sa cour, entrouvrira les rideaux, et vous verra descendre. Tenez haut jupe et jupon. Une fois dans le boudoir, osez ce sourire malicieux qui vous sied si fort, laissez s'installer une sorte de familiarité, d'abandon, qu'il croira annonciateurs d'instants délicieux. Après quelques politesses, il vous guidera négligemment vers le sofa. Laissez-le s'égarer dans vos dentelles, mais point trop. Au moment où il touchera votre jarretière, levez-vous avec grâce : « Chevalier, vous n'y pensez pas ! », puis fuyez en riant. Il en augurera qu'une troisième rencontre lui ouvrira le Paradis. Quant à nous, nous répandrons le bruit, dans toutes les bonnes maisons de Paris, que le Chevalier de F., après avoir été instruit dans l'art d'aimer, préfère maintenant transmettre son savoir : non content d'avoir poussé dans sa couche nombre de femmes encore belles, il trousse désormais les tendrons, leur faisant oublier le goût de Dieu et de la vertu. Sa réputation sera ternie à jamais, on n'en voudra ni pour époux ni pour gendre, il finira pauvre et seul. Vous même passerez pour un parangon de vertu. Quant à moi, je connaîtrai le goût incomparable de la vengeance.


    Dominique Langlet

     


         

    Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais

    N°07 - Juillet  2012   

    « MoskowBlack Sea Man »

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