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  • A l’heure des vêpres  

       

    Pierre sursauta. Des abat-sons (qui portaient bien leur nom) du clocher-porche octogonal, dégringola tous azimuts un carillonnage assourdissant. Ding-dong ! Et re ding-dong ! Il eut comme chaque fois une pensée pour John Steele suspendu à son parachute au clocher de Ste Mère l’église le 6 juin 1944. Le vieil homme se réfugia dans la salle du café tout proche. Il est bien connu que bistrots et églises sont inséparables dans notre France rurale. C’est tout juste si le vacarme des cloches y était atténué et il dut gueuler comme un veau à Thérèse la tenancière du lieu pour passer sa commande. Excès de voix d’ailleurs inutile car « la patronne », comme il l’appelait, avait déjà commencé à tirer son demi pression qu’il venait siffler chaque dimanche à la même heure, c'est-à-dire celle des vêpres, seul moment de son repos dominical où sa bourgeoise lui laissait la bride sur le cou pour se rendre aux vêpres précisément.


    Marc Méret

     


         

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    N°07 - Juillet  2012   


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  • Les samedis…  

       

    Tous les samedis matins elle allait aux messages, ce qui dans le dialecte du royaume de Fife signifie qu’elle allait faire ses courses. Les devantures avaient bien changé depuis dix ans, les enseignes et les vitrines désormais plus grandes. Pour traverser la rue il fallait se faufiler entre les voitures de plus en plus nombreuses qui stationnaient le long de la rue principale, là où s’alignait tous les commerces de la ville. Ne voyant plus que d’un oeil, elle trouvait cette traversée de plus en plus compliquée. Armée de son cabas elle suivait toujours le même parcours. De la banque à la pharmacie, surtout pour lui. Il lui fallait ses comprimés pour la douleur. Puis à la boulangerie pour les scones, puis son journal pour les résultats. Les comprimés pour la douleur. Le journal pour les résultats. La douleur le mettait de plus en plus de mauvaise humeur depuis qu’il avait pris sa retraite et qu’il était inactif, se lamentant de ne plus pouvoir aller au golf ni même au bowling green. Malgré son aspect frêle et la raideur de sa démarche osseuse, elle avait la fortitude de descendre à pied, consciente que pour lui, la conduite ne faisait qu’aggraver la tension à l’épaule.


    Alan Fell

     


         

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    N°07 - Juillet  2012   


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  • RAYMOND  

       

    Depuis 15 ans, Raymond était maître-nageur à Méru, Oise. Ses journées inlassablement se ressemblaient : ce n’était pas passionnant. Chaque jour, il accueillait les scolaires- avec entrain- et tâchait de leur apprendre les rudiments de la natation. « Allez, à l’eau ! Pour commencer quatre longueurs… après on verra ». S’ils étaient réticents, il ne les forçait pas. « Tu veux pas l’faire ? J’m’en fiche, moi, je sais nager, mon gars ». S’ils étaient anxieux, il ne les forçait pas. « Pas de traumatisme, c’est mauvais ! », telle était sa devise. Les meilleurs nageaient et n’avaient pas besoin de lui. Un jour, un mauvais plaisantin- vous savez comment sont les gamins- lui dit d’un air affolé : « Raymond, vite, y’a Pierre qu’a plongé dans le grand bassin et il ne remonte pas ! » « J’n’ai rien vu, c’est vrai, c’t’histoire-là ? » Alors, calmement, sans précipitation, Raymond ôta son sifflet- il fonctionne beaucoup moins bien quand il est mouillé- posa son portable et ses clefs, déchaussa ses claquettes et plongea ! « Bravo, il sait nager, il sait nager !... » s’exclamèrent les élèves. Raymond en ressortit tout penaud. Cette malencontreuse expérience eut un effet étrange sur lui. Alors qu’il ne quittait pour ainsi dire sa Picardie natale- même pas pour les vacances-, Raymond eut envie de mettre les voiles, de voir le large, d’humer l’air marin. « Trop petit c’bocal » répétait- il à qui voulait l’entendre. « C’est comme si on m’avait raboté les nageoires ; vous voyez, ça et là, un poisson aux nageoires tronquées ? » Son idée lui tenait tellement à coeur qu’il voulut aménager son espace vital- son bassin-. Chaque jour, il apporta différents éléments marins. -« Et du sable et des transats », le lundi. -« Et des galets », le mardi. -« Et un bateau- petite coque de noix, tout de même, pas un chalutier », le mercredi. -« Et des filets et des mouettes », le jeudi.-« Et un phare », le vendredi. Pour cela, il avait peint sur les parois vitrées mais on entendait quand même la sirène et on voyait les signaux lumineux. -« Et des poissons, des coquillages et des crustacés », le samedi. Le directeur de la piscine, d’abord enchanté par l’initiative de Raymond, jugeait que ça commençait à …sentir. -« Et pour finir, une bonne petite marée noire », le dimanche. Il lui avait manqué de temps pour de beaux raz de marées et de beaux naufrages… « Raymond, là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : on est obligé de fermer l’établissement ». Raymond sombra dans une profonde dépression qui dura deux mois. C’était pas un mauvais bougre, ça faisait peine à voir. Il enfilait ses palmes et son tuba et parcourait alors d’innombrables longueurs. Les medias régionaux, amusés, avaient eu vent de ses frasques. -« Ici, en direct de la piscine de Méru, reconvertie en bord de mer… Des scientifiques de faculté de Bordeaux, prirent connaissance de cette histoire et se déplacèrent pour étudier ce spécimen picard bien particulier. On lui prodigua une sorte de scaphandre jaune à pois roses et on le déposa au fond du bassin pendant plusieurs jours. La nourriture lui était injectée par des tuyaux- ne me demandez pas comment, je l’ignore, quant à ses déjections, cela reste un entier mystère. On fit agiter l’eau : clapotis, remous, tempête de force 8. La météo marine était diffusée toutes les heures, on diffusait aussi les piaillements d’oiseaux marins ainsi que les chants des baleines- à moins que ce ne des sirènes…-Les badauds se pressaient, toujours plus nombreux. Au bout d’une semaine, on le remonta. -« Alors, Raymond, cette expérience ? » -« … » Raymond était mutique. Tout au plus, il fermait et ouvrait régulièrement la bouche, comme un poisson. ON décida de le délocaliser sur l’île de la Réunion. Les trois premières semaines lui ouvrirent des horizons insoupçonnés. Raymond s’avéra un as du surf. Chaque jour, il taquinait les vagues de plus en plus grandes, de plus en plus lointaines. Un requin coquin eut raison de sa fougue et d’un grand coup de gueule, transforma le zélé surfeur en club-sandwich. Sur la plage, seule sa planche, fut retrouvée.


    Françoise Danel

     


         

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    N°07 - Juillet  2012   


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  • De la Marquise de B.

    à sa nièce Sidonie…  

       

    Ma chère petite, Comme promis, vous trouverez dans ce pli quelques lignes à porter sans surseoir au fringant Chevalier de F. Poudrez votre décolleté, usez de musc, pour le reste la nature y a pourvu, vous êtes aussi fraîche qu'un muguet. Mais n'oubliez point le jupon de dentelles, le Chevalier y est sensible, il m'en souvient, hélas. Vous irez seule, donc à pied. Pas de chaussures en satin, les rues de Paris vous crottent une élégante sitôt qu'elle y marche...Faites en sorte que le Chevalier vous introduise en son boudoir, c'est là qu'il se tient avant de se rendre chez quelque belle dame. Tendez-lui mon billet avec une modeste révérence qui révélera votre cheville, gardez toutefois les yeux baissés. Puis levez-les pour répondre aux questions qu'il ne manquera pas de poser. « Oui, la Marquise de B. est ma tante, elle vous fait tenir ce message, car vous lui manquez » Ce disant, regardez-le droit dans les yeux, qu'il a fort beaux,laissez-vous légèrement troubler, mais reprenez-vous dans l'instant comme il est de règle chez les jeunes filles bien nées élevées au couvent. Le Chevalier vous jaugera des pieds à la tête, et surtout entre les pieds et la tête. Restez sotte. Sans doute vous effleurera t-il le bras, vous êtes encore presque une enfant. C'est le moment que vous choisirez pour dire de votre voix douce : « Puis-je me retirer ? Je reviendrai quérir demain votre réponse ». Vous verrez alors qu'un feu s'allumera en lui à la pensée qu'aucune citadelle n'est imprenable... Le lendemain, faites-vous amener, il entendra le bruit des roues sur les pavés de sa cour, entrouvrira les rideaux, et vous verra descendre. Tenez haut jupe et jupon. Une fois dans le boudoir, osez ce sourire malicieux qui vous sied si fort, laissez s'installer une sorte de familiarité, d'abandon, qu'il croira annonciateurs d'instants délicieux. Après quelques politesses, il vous guidera négligemment vers le sofa. Laissez-le s'égarer dans vos dentelles, mais point trop. Au moment où il touchera votre jarretière, levez-vous avec grâce : « Chevalier, vous n'y pensez pas ! », puis fuyez en riant. Il en augurera qu'une troisième rencontre lui ouvrira le Paradis. Quant à nous, nous répandrons le bruit, dans toutes les bonnes maisons de Paris, que le Chevalier de F., après avoir été instruit dans l'art d'aimer, préfère maintenant transmettre son savoir : non content d'avoir poussé dans sa couche nombre de femmes encore belles, il trousse désormais les tendrons, leur faisant oublier le goût de Dieu et de la vertu. Sa réputation sera ternie à jamais, on n'en voudra ni pour époux ni pour gendre, il finira pauvre et seul. Vous même passerez pour un parangon de vertu. Quant à moi, je connaîtrai le goût incomparable de la vengeance.


    Dominique Langlet

     


         

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  • Le godet de Notre Dame…  

       

    Bien que Sainte Vierge, on n’en est pas moins femme- humainequoique… mais ça c’est une autre histoire- soumise aux aléas de la vie, à ses contraintes et ses obligations, à ses besoins physiologiques. Marie, déjà visitée par Gabriel, cheminait seule dans la campagne picarde en mai zéro. (Et pourquoi pas la Picardie ? Elle avait bien le droit de voir du pays, de prendre du bon temps ? Avec ce qui l’attendait…) Vous auriez vu ce temps !!! Une chaleur, pire qu’en 1976, rien à voir avec 2011. La canicule, la vraie, celle où les feuilles desséchées des arbres ne demandaient qu’à s’enflammer… Marie, aglavée, la gorge sèche, aurait échangé un royaume pour une timbale d’eau fraîche. Epuisée, loin de toute habitation, elle posa céans dans l’herbe jaunie du chemin, s’en remettent à ??? Enfin aux puissances supérieures qui dirigeaient sa vie et ses pas. Un brave homme tirant une longe à laquelle était attachée une mule récalcitrante apparut dans un nuage de poussière et une volée de jurons à faire rougir une dame de qualité. Sur la mule, deux tonneaux qui brinquebalaient et qui gargouillaient. Pleins ! - Mon brave, auriez-vous l’obligeance de me rassasier…enfin je veux dire de m’abreuver, de me donner de l’eau de votre tonneau ? - Madame, une dame de votre convenance ne devrait pas s’aventurer sur ces chemins si peu sûrs ! Et je voudrais bien répondre à votre demande, mais c’est que…mes tonneaux contiennent l’un du vin, l’autre de l’eau de vie. Ca va vous mettre le gosier en feu. - Pour l’amour de Dieu, aidez- moi. Soyez charitable. Dieu vous le rendra, j’en fais le serment et je suis bien placée pour le savoir. (Du vin en Picardie ? A cette époque ? Et pourquoi pas ? Et cessez de m’interrompre pour un oui et pour un non.) - C’est que Madame, je n’ai point de verre. Vous ne pouvez pas vous abreuver à même le robinet. Vous tacheriez votre robe azurée. Sur le chemin, fleurissaient millepertuis et coquelicots et des corolles blanchâtres menaient une ronde effrénée parmi les herbes folles. L’homme arracha une fleur de liseron qu’il emplit de vin et qu’il tendit à Marie. Le récipient floral et délicat ne contenait qu’un doigt de vin. (Je me dois de faire encore un aparté : Marie, femme bénie parmi les femmes, ne fut pas choisie pour ses aptitudes au calcul. A croire qu’elle en ignorait même le nombre de ses doigts, dix, vingt, trente, quarante ???) Elle en but tant et tant qu’elle ne put repartir et, bien que désaltérée, elle passa la nuit à la belle étoile. C’est depuis ce temps, si on observe attentivement, que les corolles de liseron offrent des traits rosés…les dernières gouttes de vin, que Marie, éméchée, a négligé… … !!!


    Françoise Danel

     


         

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  • Faire, encore faire, toujours faire…  

       

    Faire son petit-déjeuner, faire sa toilette, faire la poussière, faire le repassage, faire la cuisine, faire la vaisselle, faire son lit, faire le jardin et même on dit faire sa promenade…! C’est illimité la liste des choses à faire, nous passons tout notre temps, toute notre vie à « faire » Mais tout de même, la promenade ça se savoure, on s’en délecte comme un mets délicieux, ce n’est que du plaisir, la promenade ne se fait pas… elle se vit, c’est dire comme l’idée de plaisir est toujours mal acceptée… on lui préfère : «travaillez, prenez de la peine, soyez dur à la tâche, dieu vous le rendra, travaillez, travaillez, travaillez … !!! Mais si on décidait de ne plus faire, d’arrêter de toujours faire, de ne plus rien faire du tout le temps d’un moment privilégié pour soi, que l’on s’est autorisé, que l’on s’est attribué… qu’on a osé prendre… ! Ainsi, ce matin de mai, un lundi, jour férié, la journée promettait d’être vraiment chaude ! Après avoir biné, ou plutôt rebiné des herbes indésirables au pied de l’immense érable, après avoir procédé à l’arrosage devenu une urgence, après avoir attaché quelques grimpants qui tombaient un peu partout, après avoir éclairci mes trois petites rangées de radis, après maintes corvées accomplies dans la maison dont je vous épargne l’évocation, l’heure du déjeuner arriva, espagnol bien sûr, jamais avant 14H chez eux ! Je mangeais. Puis, une fois restaurée, l’après-midi bien installé dans les heures les plus chaudes, le moment était venu d’arrêter de faire, de tout lâcher, tout débrancher et de s’abandonner le cul posé sur une chaise, immobile, ne plus se lever surtout, ne plus penser, entendre soudain le tic-tac de la pendule, le gazouillis incessant des moineaux par la porte-fenêtre à demi ouverte et ce délicieux silence, aucune voiture, la trêve… même pas le vent, respirer lentement, une paix intérieure a remplacé l’agitation habituelle, le bien-être est bien là… résultant du ne plus faire, ne plus rien faire, ne plus rien faire du tout pour seulement être, être dans le ressenti de l’instant et un instant seulement enfin oublier de FAIRE… !!!


    Lucie Centro

     


         

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  • Un rêve à la place  

       

    J'y étais pour la première fois, le premier. Le premier du mois s'entend, le premier du mois de juin. J'étais en avance car j'aime attendre. Un couple d'hirondelles volait bas, plongeait droit (plouf !) à tour de rôle dans la grande flaque. Elles ne se souciaient pas des silhouettes qui, tout doucement commençaient à descendre le terre-plein, affleuraient sagement comme colonie de fourmis, sourdaient presque de terre. J'y étais déjà, sur place. Sur la future place. Et je regardais. J'aime regarder. La grille avait été entrouverte pour laisser passer les uns et les unes qui dégringolaient, parfois par deux, parfois en petits groupes, parfois de la main. Qui, portant un panier en osier, qui, un gamin dans les bras, qui, son voisin. En arrivant tout à l'heure, avant de prendre le chemin de la place, je l'avais déjà remarquée : la belle rouge, sa jupe-corolle au vent d'ouest, bien plantée sur le talus à l'entrée. Elle ne semblait pas se soucier d'où elle mettait les pieds et ses sandalettes n'étaient plus immaculées du tout. On est en Picardie mademoiselle, je l'ai appris : terre d'argile, terre de boue ! La soirée était belle, la soirée commençait. Moi je ne connaissais pas grand chose de cette ville. Ou si. J'avais déjà pu profiter au petit matin de l'exubérance des fleurs du boulevard saint André. Les boules d'ail mauves, les bouquets de bourrache bleue près des feux (rouges ou verts, et même parfois orange), les gerbes insensées d'espèces sauvages. Il fallait oser : tous ces roseaux en ville ! Quelle main verte aux espaces verts avait un oeil si avisé (j'allais dire amoureux)? Un tel accueil réservé aux compagnons blancs à croire qu'ils n'avaient pas été plantés mais invités, des pavots aux ronds points, placés de sorte à se faire transpercer par le soleil levant, et à te planter là, toi piéton, droit vers la rue de Clermont. Ça alors... C'était donc le paradis, ici ? A la vue du pleureur saule (ou vice versa, je suis dyslexique du nom des plantes) qui dirigeait la circulation au carrefour, les cheveux coupés droits... Je me disais Une chance, une aubaine. Nous sommes en pays poésie ici ? On me disait Belvais. Je disais Eh ben ! Pas beau parleur, moi. Préférant la lecture du bout du doigt sur la page et le silence des Ah ! A mon arrivée c'était mai. C'était bien. Cultiver des épilobes, des sauges folles qui caressaient les mollets des enfants sur le chemin de l'école, j'étais épaté. Que dis-je, j'étais élevé, l'âme abeille et bourdonnière, l'âme mésange bleue. Emerveillé j'étais (et je le suis encore). Donc vous voyez, en mai j'étais en émoi, hors de moi déjà. Avant même de l'avoir rencontrée, elle. Le premier. Le jour J du premier juin donc, le soleil se coulait avant de se coucher (et c'est somme toute logique), rue du 27 juin. Rue ainsi baptisée, cela ne fait pas un pli, pour que l'on profite d'un coucher idéal, les derniers rayons dardant les colombages, traversant les feuillages, ricochant dans les yeux de la belle glacière assise à la terrasse... Puisque je vous dis que je n'ai pas les yeux dans ma poche. Etait-ce une parade qui se préparait ? Un temps d'arrêt comme dans le temps ? La place allait-elle devenir Porte du soleil levant comme la Puerta del Sol de ma ville natale ainsi appelée car j'y vis le jour un jour de mai ? Avec, plein nord, un bâtiment fièrement planté (j'ai appris depuis qu'il s'agit d'un lycée). Dans cette grande esplanade creusée par moments comme par torrent insolent, un ancien pont semblait raconter des histoires de galops sur l'eau, de villes sauvées, de retrouvailles. De l'eau justement il y en avait (flaque de pluie ou flaque de nappe ?) pour le travail de nids et pour celui, de joie, de Nils et des gamins qui déjà s'en approchaient, un bâton à la main. Un poisson est vite arrivé, dans une mare ou dans une ornière, il suffit d'essayer. Surtout quand la soirée est belle, sans rien d'autre à faire que d'être heureux. Alors que je ne suis pas d'ici, alors que je viens d'ailleurs, on m'offrit une serviette mauve (mauve comme la sauge) à mettre à mon cou, et on me fit goûter le vin d'un panier à vin que j'acceptai. L'instant était délicieux. L'esplanade terrassée semblait semée de fleurs. La boue jaune, la boue brune des autres temps, tout était coloré et invitant. Je compris qu'il s'agissait de planter des fleurs. Chacun des invités à la fête avait le droit de semer une graine de talus ou une graine de plaine pour que se prolongent à jamais des instants pareils. Le réveil viendrait-il après le rêve ? Le réveil serait aussi beau. Car le projet me parut le plus formidable jamais conçu dans une ville de ce siècle : transplanter brin à brin les herbes des sentiers, les matricaires de Plouy pour que poussent poussettes, éclatent éclats de rires et caracolent arcs-en-ciel. Chemins à graminées, à fétuques et autres brizes proliféreraient fières et libres sous le regard aimant de chacunchacune- jardinier. Ce serait donc un jardin. Le Jardin d'Eden du Jeu de Paume. Le paradis d'avant la pomme. Mais moi je n'avais d'yeux que pour elle. La fleur rouge seule sur son talus, la belle sans talons. Elle se tournait vers les derniers rayons. Il l'avait bien dit l'homme à la queue de pie, l'homme au porte-voix. Tomber amoureux ici. Elle avait bien raison sa chanson. Car depuis, je le suis !


    isabel Asúnsolo

     


         

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    N°07 - Juillet  2012   


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    L’édito de Catherine Tolleron  

       

    A toi l’honneur ! », m’a dit Marc, élégamment vêtu de clair et chapeauté pareillement. En version plus familière, ça donnait : « C’est toi qui t’y colle ! » Je fais ma mijaurée : Ouh, là là, My God, mais comment vais-je m’y prendre ? Alors qu’en fait, je crève de fierté d’être l’éditorialiste de ce numéro du Liseron, d’être l’ELUE ! C’est MOI qui (ki). En plus j’ai appris ça le jour du FMNH. Non, pas le Front Mondial des Nudistes Hencolères, mais le jour du Festival de la Micro-Nouvelle et du Haïku qui s’est déroulé (puis a été enroulé de nouveau) fin mai à Plouy, sous un soleil RA-DI-EUX et des auspices favorables (un pigeon avait crotté à six heures trentedeux dans mon bol de café). Je sautai (passé simple) donc de joie (pas trop haut vu mon surpoids et mon âge mûuur) tentant ainsi d’imiter (mais sans succès) les gracieuses créatures qui dansaient sous la houlette de Roberto (prononcer lobelto avec un peu de r quand-même) telles des copines d’Isadora Duncan dans les pâquerettes et sous les saules (disparus). J’étais ravie, donc encore, et partageai (passé simple, bis, j’aime bien) ma joie avec les participants qui s’égayaient sous les arbres (terme générique pas trop littéraire mais je sais pas trop c’est quoi comme race). Il me fallut user de quelques bribes de mauvais anglais pour me faire comprendre (Moi Jane, toi Tarzan) car cette année, le festival était dépaysant, insolite, cosmopolite (toimême, mal poli !). Nous eûmes successivement un premier prix, enfin, une première prise québécoise qui s’écria « c’est tiguidou !» (si vous ne savez pas ce que ça veut dire, cherchez sur la toile, bande de feignants) à l’annonce des résultats, un très joli auteur espagnol vivant à Albacete (je l’ai retenu, vu qu’il fut obligé de répondre avec un sourire charmant et de bonne grâce à une vingtaine de personnes lui posant immanquablement la même question : « et sinon, vous venez d’où ? », une juive russe, errante et sympathique, brillante et charmante, ayant vécu dans une dizaine de pays, exercé une douzaine de métiers, parlant couramment une treizaine de langues (ce qui me fit l’effet curieux d’être un misérable ver de terre) et enfin, parce qu’il ne faut pas lasser le lecteur, une adorable et précieuse japonaise qui nous fit le cadeau d’un chapelet de perles délicatement glissé de sa bouche : un vrai haïku, en vrai japonais. Sinon, pour faire coucou à mes potes, Alan nous charma de son phrasé parfait et de ses accords guitaresques (euh ?), Framboise fut publiée cette année et le beau Vincent nous ensorcela de sa voix divine. Bref, j’en passe, et des moins bonnes. Mais voilà, je digresse, je digresse (tu dis quoi ?), fais de mauvais jeux de mots (laids), tout ça au lieu de faire l’édito (to) d’une revue que je vous recommande, car c’est comme qui dirait un lieu de rencontres de gens à peu près aussi fêlés que moi (voire plus) qui au lieu de se taper dessus tapent sur des bambous et des touches de clavier. Bref en gros, je ne fais pas mon boulot, mais je m’amuse bien. C’est important, non ? Allez, à vos plumes !


     

     


         

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    N°07 - Juillet  2012   


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  •  L'ANNEE BISSEXTILE

      Pour que soit rigoureux notre calendrier
    Certains ans l'on octroie au mois de Février
    Une journée de plus mécanique subtile
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Indéniable fait de civilisation
    Que d'être avec son temps en parfaite équation
    L'indigène Zoulou, Robinson sur son ile
    Ne connaissaient pas l'année bissextile
    Les six heures qui font d'habitude défaut
    Nous sont restituées pêle-mêle sitôt
    Le vingt-neuf février, équilibre fragile
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Le 29 février c'est comme une accalmie
    Comme une parenthèse, une trêve, un sursis
    A la fuite des jours, à la vie qui défile
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Déjà les philosophes en ont fait l'analyse
    Et pour bien distinguer ce jour-là préconisent
    Une fête du temps, je n'y suis pas hostile
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Alors tout un chacun ferait et c'est normal
    Le 29 février son bilan quadriennal
    Quitte à son testament greffer un codicille
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Le 29 février appelle l'ironie
    Au pire le sarcasme, au mieux la fantaisie
    Ca ne fait pas sérieux, ça fait 1° Avril
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Le mordu de tout poil aussitôt en profite
    Pour se consacrer à sa passion favorite
    Croquant à pleine dent la journée volatile
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Et le collectionneur d'objets hétéroclites
    Toujours à la recherche de la pièce insolite
    Trépigne d'impatience quand au loin se profile
    Le bout du nez de l'année bissextile
    L'artiste amateur plein d'une joie sans partage
    Donne le dernier coup de main à son ouvrage
    Comme une signature une marque de style
    Drôle d'année que l'année bissextile
    Le 29 février cela dit pour conclure
    N'a jamais ressemblé à une sinécure
    Quel trésor quel régal pour le bibliophile
    Les annales de l'année bissextile...
    Drôle d'année que l'année bissextile !

     

    PATRYS

     

     

     

     

     
       
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    N°06 - Avril 2012

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  •  Bijou perdu

     Où sont passés mes pendants d'oreille en onyx ? Bon sang,
    dîner avec le Préfet, et juste pile je perds les boucles de Mémé
    Marianne ! « Sigmund, dis-moi pourquoi ! »
    « Eh bien » répond-il « Tu veux bousiller ta soirée, c'est évident... La dernière fois que tu les as vues, c'était où et quand ? » « Ah ben oui, dimanche dernier, à l'heure de la messe: pendant que mon mari fait ses dévotions, je vois mon jeune amant... elles sont sans doute toujours sous l'oreiller,
    et tu serais trop content de savoir pourquoi ! A propos, mon jeune amant, c'est justement... le fils du Préfet, haha! »
    Mais laissons là Sigmund ! L'an dernier, dans une expo d'art
    surréaliste, je ne connaissais pas encore ce délicieux jeune homme. Nous étions tous deux à l'arrêt devant le même tableau, où un escalier tout mou montait au ciel, laissant s'envoler de sa plus haute marche un groupe de chapeaux
    melons. En bas, une plage à carreaux noirs et blancs, avec au
    premier plan un amas de bois flotté, suggérait une tristesse
    contredite par le joyeux envol des couvre-chefs moirés. Une
    silhouette de femme, toute menue, ponctuait le bord de mer. En y regardant de plus près, on remarquait sous la robe comme
    des griffes de renarde, et audessus du sage col Claudine un
    joli museau velu. En arrière- plan, un phare en forme de gâteau de mariage, dégoulinant de crème d'écume, titillait le spectateur iconoclaste, tandis que les deux époux en plastique plantés en son sommet rivalisaient de sottise compassée.
    « Viens », me dit l'inconnu qui contemplait avec moi cette oeuvre absconse, « on va rentrer dedans !». D'un même pied, nous franchissons gaiement le cadre. La plage nous avale, puis nous rend à nous-mêmes au bas du mol édifice. Le dernier chapeau,effrayé, s'envole. « Ils vont où, tu crois? » « Ben, ils passent l'hiver à Paris, sur les porte-manteaux des restaurants chics... » «C'est idiot, ils sont dans le courant d'air, avec la porte tambour qui tourne sans arrêt! » «Ils aiment ça, ça leur rappelle tous ces dessins où on les fait s'envoler de la tête du monsieur » Ce garçon hors du commun m'amusait décidément plus que mon triste sire de mari. J'eus envie d'aller au phare. Un, deux, trois, partez! On a couru là-bas, foncé dans la crème fouettée, la crème pâtissière, la crème crémeuse, on s'en est mis partout, puis on est montés arracher les deux figurines
    à la con, ça m'a fait du bien, mais du bien! Si je racontais tout ça à mon mari, il ne me croirait jamais! Je lui ai juste dit que j'avais perdu les boucles de Mémé Marianne dans un gâteau à la crème en haut duquel il était perché, en costume de pingouin. Maintenant, toute la semaine j'attends avec impatience l'orgasme du dimanche matin...


    Dominique Langlet

     

     


     
       
     Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais
    http://www.lirecrire.fr/  N°06 - Avril 2012

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  • L’édito de Jonathan

     Bon... On m'a demandé d'écrire un édito pour Le Liseron, comme d'autres avant moi l'ont fait. Mais que faire ? Non, je ne parle pas du livre de Lénine, prêt à penser pour certains lambertistes, mais bien d'un simpleéditorial...
    Aïe, aïe, aïe...Je lis la définition dans une encyclopédie quelconque pour mieux comprendre de quoi il s'agit. Non, je
    vous entends d'ici, ce n'est pas wikipedia... enfin, si, c'est si
    pratique ; l'autre a moisi. Bon, allez, je me jette à l'eau. Si j'ai bien compris, je dois introduire l'actualité ou le contenu de ce numéro-ci de notre Liseron. Non, n'utilisez pas de désherbant, ce n'est pas un parasite !
    Laissez la nature faire son travail ! La parole doit être libre, elle aussi ! En cette période pré-électorale, peu importe si on se préoccupe ou non de savoir qui sera le prochain roi élu de
    cette république autoritaire, ce qui importe est bien le contenu du programme proposé. Nous concernant, notre programme est
    ludique et enivrant : poèmes, haïkus,micro-nouvelles, vers, vers d'air et aussi de terre, l'humilité étant fondamentale dans une vie saine, avec un peu de folie, ainsi que beaucoup d'érotisme et de musique.Nous n'aborderons donc pas de sujets discriminatoires, fantasques ou démagogiques, mais bien la vie ellemême, qui danse et chante (nos beaux textes si possible).
    Quoiqu'il en soit ce petit journal vous fera découvrir quelques écrits d'auteurs sans prétention. Appréciezces textes ou non ; en tout cas, ilsvous aiment. Vous pourrez trimbaler ce petit journal dans votre poche ou bien dans vos mains pour le lire en
    marchant dans la rue, en faisant bien attention de ne pas heurter de passants, ou encore le lire chez vous, et aussi le faire lire. Et qui sait, peutêtre qu'un jour vous y serez.
    L'association Lirécrire organise mensuellement des rencontres
    littéraires ou chacun amène son travail, écrit par ses petites mains ou non, ou bien juste ses oreilles. Il y a quelques mois, le groupe présent a écrit plusieurs haïkus, poèmes en trois vers, et certains ont été publiés dans un numéro précédent. Alors n'hésitez pas à vous joindre à nous et ainsi partager de bons moments de lecture et d'écriture. Dans ce numéro, vous lirez l'histoire d'un premier amour, une autre histoire amusante, encore une autre, sensuelle cette fois, un haïku et je ne sais quoi encore car il y a tant de richesse dans ce petit livre que vous tenez entre les mains. J'avoue que je suis pressé de terminer cet édito et d'aller me cacher, mais il faut bien que je fasse une page, et je crois que j'y suis.
    Youpi ! Je peux arrêter de me sentir ridicule.

    Au revoir !

     


     
       
     Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais
    http://www.lirecrire.fr/  N°06 - Avril 2012

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       L’édito de Françoise Danel en Baie de Somme  

       

      Un mois déjà que j’égrène les jours : je dois rédiger l’éditorial de la rentrée et…je repousse à plus tard la tâche. Procrastination, quand tu nous tiens…

      Plage de la Maye ? Mais où se trouve-t-elle, cette satanée plage ? Je circule dans la bourgade côtière à cette heure matutinale à la recherche d’une place de stationnement gratuite tout en évitant les sens interdits qui sont légion et en renonçant à ma trajectoire devant les grilles dressées qui abritent le marché hebdomadaire. Comme je refuse de céder à la pression du GPS et à l’abêtissement généralisé du troupeau des conducteurs, je peste contre moi-même : ah ! si j’étais partie plus tôt, ah ! si je m’étais renseignée plus amplement…et contre l’absence de d’indications précises pour les quidams de passage.

      Les minutes s’écoulent, mon impatience grandit. L’impression confuse de l’inutilité de mon périple  m’envahit. La consultation  du plan de la ville arrête le processus et distille enfin quelque espoir. Je sors du Crotoy à dix heures. La pratique du quart d’heure picard de retard m’ôterait une épine du pied et m’offrirait la possibilité d’arriver avant leur départ. Alors que je me gare, le groupe se met en marche. J’arrive à temps ! A moins d’être   indigène, tout un chacun a eu les pires difficultés à découvrir le point de rendez-vous de cette ballade picardisante qui s’avère truculente.

      Sentiers ombragés : histoire d’oiseaux et de son monarque, le roitelet.

      Sentiers sableux : marche hésitante où chaque grain qui s’insinue dans les souliers retarde chaque pas.

      Végétation dunaire : tamaris, argousier, vipérine, bouillon blanc et onagre, deux merveilleuses plantes aux fleurs jaunes  goûteuses  et délicieusement parfumées. Pause et nouvelle histoire : Adam et Eve au jardin d’Eden avant d’en être chassés.

      A mes pieds, pas de pomme insidieuse et juteuse,

      Pas de péché originel,

      Seulement des feuilles rabougries et des corolles rosées de liseron qui disputent âprement leur présence en milieu hostile


     

     


         

    Revue trimestrielle de l’association « LIRECRIRE » de Beauvais

    N°04 - Octobre 2011   


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