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En quête à Voisinlieu : Épisode 3
En quête à Voisinlieu
Épisode 3
Me voici dans le vif du sujet. Pas le temps de digérer mon premier repas, frugal mais paisible, au Bar des Promeneurs, qui a gardé son nom mais changé de tenanciers. Pas moyen de me reposer et de reprendre des forces, enfin, après ces années de promiscuité à la prison de Compiègne, dans cette cellule humide où l’on s’entassa jusqu’à onze détenus, parfois… J’avais pourtant tout de suite adopté cette chambre proprette aux murs jaune d’or et aux rideaux de voile léger au milieu de ce quartier de mon enfance où j’ai été si heureux.
A la fin précipitée de mon premier vrai repas, Je m’entends encore me dire intérieurement, en croisant mon regard dans la glace piquée de la petite salle à manger : incroyables, ces deux coups de bol successifs : deux des anciens sbires de Bernard se présentent à moi sans le savoir et, en plus, ils ne me voient pas. Faut dire que la petite table que j’avais choisie, presque sous l’escalier intérieur, me mettait hors de portée des coups d’oeil curieux. Maintenant, au calme dans ma chambre, je réalise que le jeu s’annonce inégal : ces deux là ne savent pas exactement quand je dois revenir mais ils ne tarderont pas à être renseignés. Dans ce troquet, les allers et venues ne passent pas inaperçus, surtout quand une nouvelle tête s’annonce. Le lieu est convivial et peu éloigné de St-Jacques où ils habitaient comme beaucoup des ouvriers de l’usine. A fréquenter le même endroit qu’eux, je perds toute quiétude pour mes recherches, moi qui voulais ne réapparaître qu’une fois la vérité établie. Inutile d’évaluer les probabilités de rencontre, je suis perdant d’avance. Ils ont vieilli mais ils sont encore d’alertes retraités bien paisibles. Ils ont toujours su donner le change. Le jour viendra où ils se sentiront moins à l’aise de me savoir à nouveau libre. Libre de vivre ma vie, après avoir pris celle de Bernard dans un échange de coups non prémédités mais aussi libre de rechercher dans le passé trouble de Bernard et dans le leur ce qui a ruiné mon père et provoqué la mort prématurée de ma mère. J’ai vengé ma famille sans l’avoir voulu dans un moment de haine et parce que j’étais le plus fort mais je veux retrouver et faire savoir, comme mon père me l’a demandé dans ses derniers instants, comment ces trois personnages ont modifié le cours de la vie de mes parents, à la fin de la 2ème guerre mondiale, à Aubervilliers, dans la petite usine familiale. Ah, les voilà qui traversent et remontent dans la voiture où Joe se met au volant. Sa petite R8 grenat n’est pas de première jeunesse. Je leur laisse prendre un peu de champ avant de sortir à mon tour pour gagner le Sentier de la Place, à deux pas du café. Comme souvent, mi-octobre, la soirée est douce, en cette fin d’après-midi. Après les quelques maisons fraîchement repeintes que j’ai du mal à reconnaître, me voici devant la prairie, le petit jardin et la maisonnette fleurie où j’ai grandi, au milieu de la sente, loin de tout. Les noisettes n’ont pas été ramassées et quelques roses fanées sur la façade confirment, décidément, que Rosa, la locataire, une ancienne amie d’école primaire, n’a vraiment pas la main verte. J’appuie sur la vieille sonnette et un chien, aux aboiements dissuasifs, me répond.
Chantal Gaultier
La voix d’un lieu Revue de l’atelier d’écriture de « Voisinlieu pour tous »
http://www.voisinlieupourtous.netN°02 – Janvier 2012
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